au secours !...
À cet accent ami et bien connu, le pauvre animal, déjà presque sur ses fins, essaya de tourner la tête vers l’endroit d’où venait la voix de son maître, lui répondit par un hennissement plaintif, et, s’abattant sous les efforts de la panthère, tomba... d’abord sur les genoux, puis sur le flanc... de sorte que son échine et son garrot, longeant la porte, l’empêchaient de s’ouvrir.
Alors tout fut fini.
La panthère s’accroupit sur le cheval, l’étreignit de ses pattes de devant et de derrière, malgré quelques ruades défaillantes, et lui fouilla le flanc de son mufle ensanglanté.
– Au secours !... du secours à mon cheval ! criait Dagobert, en ébranlant vainement la serrure ; puis il ajoutait avec rage :
– Et pas d’armes... pas d’armes...
– Prenez garde !... cria le dompteur de bêtes.
Et il parut à la mansarde du grenier, qui s’ouvrait sur la cour.
– N’essayez pas d’entrer, il y va de la vie... ma panthère est furieuse...
– Mais mon cheval... mon cheval ! s’écria Dagobert d’une voix déchirante.
– Il est sorti de son écurie pendant la nuit, il est entré dans le hangar en poussant la porte ; à sa vue la panthère a brisé sa cage et s’est jetée sur lui... Vous répondrez des malheurs qui peuvent arriver ! ajouta le dompteur de bêtes d’un air menaçant, car je vais courir les plus grands dangers pour faire rentrer la Mort dans sa loge.
– Mais mon cheval... Sauvez mon cheval ! ! ! s’écria Dagobert, suppliant, désespéré.
Le Prophète disparut de sa lucarne. Les rugissements des animaux, les cris de Dagobert, réveillèrent tous les gens de l’hôtellerie du Faucon Blanc. Çà et là les fenêtres s’éclairaient et s’ouvraient précipitamment. Bientôt les garçons d’auberge accoururent dans la cour avec des lanternes, entourèrent Dagobert et s’informèrent de ce qui venait d’arriver.
– Mon cheval est là... et un des animaux de ce misérable s’est échappé de sa cage, s’écria le soldat en continuant d’ébranler la porte.
À ces mots, les gens de l’auberge, déjà effrayés de ces épouvantables rugissements, se sauvèrent et coururent prévenir l’hôte.
On conçoit les angoisses du soldat en attendant que la porte du hangar s’ouvrit. Pâle, haletant, l’oreille collée à la serrure, il écoutait...
Peu à peu les rugissements avaient cessé, il n’entendait plus qu’un grondement sourd et ces appels sinistres répétés par la voix dure et brève du Prophète.
– La Mort... ici... la Mort !
La nuit était profondément obscure, Dagobert n’aperçut pas Goliath, qui, rampant avec précaution le long du toit recouvert en tuiles, rentrait dans le grenier par la fenêtre de la mansarde.
Bientôt la porte de la cour s’ouvrit de nouveau ; le maître de l’auberge parut, suivi de plusieurs hommes ; armé d’une carabine, il s’avançait avec précaution ; ses gens portaient des fourches et des bâtons.
– Que se passe-t-il donc ? dit-il en s’approchant de Dagobert, quel trouble dans mon auberge !... Au diable les montreurs de bêtes et les négligents qui ne savent pas attacher le licou d’un cheval à la mangeoire... Si votre bête est blessée... tant pis pour vous, il fallait être plus soigneux.
Au lieu de répondre à ces reproches, le soldat, écoutant toujours ce qui se passait en dedans du hangar, fit un geste de la main pour réclamer le silence. Tout à coup on entendit un éclat de rugissement féroce, suivi d’un grand cri du Prophète, et presque aussitôt la panthère hurla d’une façon lamentable...
– Vous êtes sans doute la cause d’un malheur, dit au soldat l’hôte effrayé ; avez-vous entendu ? quel cri !... Morok est peut-être dangereusement blessé.
Dagobert allait répondre à l’hôte lorsque la porte s’ouvrit ; Goliath parut sur le seuil et dit :
– On peut entrer, il n’y a plus de danger.
L’intérieur de la ménagerie offrait un spectacle sinistre.
Le Prophète, pâle, pouvant à peine dissimuler son émotion sous son calme apparent, était agenouillé à quelques pas de la cage de la panthère, dans une attitude recueillie : au mouvement de ses lèvres on devinait qu’il priait. À la vue de l’hôte et des gens de l’auberge, Morok se releva en disant d’une voix solennelle :
– Merci, mon Dieu ! d’avoir pu vaincre encore une fois par la force que vous m’avez donnée.
Alors, croisant ses bras sur sa poitrine, le front altier, le regard impérieux, il sembla jouir du triomphe qu’il venait de remporter sur la Mort, qui, étendue au fond de sa loge, poussait encore des hurlements plaintifs. Les spectateurs de cette scène, ignorant que la pelisse du dompteur de bêtes cachât une armure complète, attribuant les cris de la panthère à la crainte, restèrent frappés d’étonnement et d’admiration devant l’intrépidité et le pouvoir surnaturel de cet homme.
À quelques pas derrière lui, Goliath se tenait debout, appuyé sur la pique de frêne... Enfin, non loin de la cage, au milieu d’une mare de sang, était étendu le cadavre de Jovial.
À la vue de ces restes sanglants, déchirés, Dagobert resta immobile, et sa rude figure prit une expression de douleur profonde. Puis, se jetant à genoux, il souleva la tête de Jovial. Et retrouvant ternes, vitreux et à demi fermés ces yeux naguère encore si intelligents et si gais lorsqu’ils se tournaient vers un maître aimé, le soldat ne put retenir une exclamation déchirante... Dagobert oubliait sa colère, les suites déplorables de cet accident si fatal aux intérêts des deux jeunes filles, qui ne pouvaient ainsi continuer leur route ; il ne songeait qu’à la mort horrible de ce pauvre vieux cheval, son ancien compagnon de fatigue et de guerre, fidèle animal deux fois blessé comme lui... et que depuis tant d’années il n’avait pas quitté... Cette émotion poignante se lisait d’une manière si cruelle, si touchante, sur le visage du soldat, que le maître de l’hôtellerie et ses gens se sentirent un instant apitoyés à la vue de ce grand gaillard agenouillé devant ce cheval mort.
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