Bien décidé à cacher aussi longtemps que possible aux orphelines le nouveau coup qui les frappait, il ouvrit la porte de leur chambre, lorsqu’il se heurta contre Rabat-Joie, car le chien était accouru à son poste après avoir en vain essayé d’empêcher le Prophète d’emmener Jovial.

– Heureusement le chien est revenu là, les pauvres petites étaient gardées, dit le soldat en ouvrant la porte.

À sa grande surprise, une profonde obscurité régnait dans la chambre.

– Mes enfants... s’écria-t-il, pourquoi êtes-vous donc sans lumière ?

On ne lui répondit pas. Effrayé, il courut au lit à tâtons, prit la main d’une des deux sœurs : cette main était glacée.

– Rose !... mes enfants ! s’écria-t-il. Blanche !... Mais répondez-moi donc... Vous me faites peur...

Même silence ; la main qu’il tenait se laissait mouvoir machinalement, froide et inerte. La lune, alors dégagée des nuages noirs qui l’entouraient, jeta dans cette petite chambre et sur le lit placé en face la fenêtre une assez vive clarté pour que le soldat vît les deux sœurs évanouies. La lueur bleuâtre de la lune augmentait encore la pâleur des orphelines ; elles se tenaient à demi embrassées ; Rose avait caché sa tête dans le sein de Blanche.

– Elles se seront trouvées mal de frayeur, s’écria Dagobert en courant à sa gourde. Pauvres petites ! après une journée où elles ont eu tant d’émotions, ce n’est pas étonnant !

Et le soldat, imbibant le coin d’un mouchoir de quelques gouttes d’eau-de-vie, se mit à genoux devant le lit, frotta légèrement les tempes des deux sœurs, et passa sous leurs petites narines roses le linge imprégné de spiritueux... Toujours agenouillé, penchant vers les orphelines sa brune figure inquiète, émue, il attendit quelques secondes avant de renouveler l’emploi du seul moyen de secours qu’il eût en son pouvoir. Un léger mouvement de Rose donna quelque espoir au soldat ; la jeune fille tourna sa tête sur l’oreiller en soupirant ; puis bientôt elle tressaillit, ouvrit ses yeux à la fois étonnés et effrayés ; mais, ne reconnaissant pas d’abord Dagobert, elle s’écria : « Ma sœur ! » et elle se jeta entre les bras de Blanche.

Celle-ci commençait à ressentir aussi les effets des soins du soldat. Le cri de Rose la tira complètement de sa léthargie ; partageant de nouveau sa frayeur sans en savoir la cause, elle se pressa contre elle.

– Les voilà revenues... c’est l’important, dit Dagobert. Maintenant la folle peur passera bien vite.

Puis il ajouta en adoucissant sa voix :

– Eh bien ! mes enfants... courage !... vous allez mieux... c’est moi qui suis là... moi... Dagobert.

Les orphelines firent un brusque mouvement, tournèrent vers le soldat leurs charmants visages encore pleins de trouble, d’émotion, et par un élan plein de grâce, toutes deux lui tendirent les bras en s’écriant :

– C’est toi... Dagobert... nous sommes sauvées...

– Oui, mes enfants... c’est moi, dit le vétéran en prenant leurs mains dans les siennes, et les serrant avec bonheur. Vous avez donc eu grand’peur pendant mon absence ?

– Oh !... peur... à mourir...

– Si tu savais... mon Dieu... si tu savais !

– Mais la lampe est éteinte ! pourquoi ?

– Ce n’est pas nous...

– Voyons, remettez-vous, pauvres petites, et racontez-moi cela... Cette auberge ne me paraît pas sûre... Heureusement nous la quitterons bientôt...