Maudit sort qui m’y a conduit... Après cela, il n’y avait pas d’autre hôtellerie dans le village... Que s’est-il donc passé ?

– À peine as-tu été parti... que la fenêtre s’est ouverte bien fort, la lampe est tombée avec la table, et un bruit terrible...

– Alors le cœur nous a manqué, nous nous sommes embrassées en poussant un cri, car nous avions cru aussi entendre marcher dans la chambre.

– Et nous nous sommes trouvées mal, tant nous avions peur...

Malheureusement, persuadé que la violence du vent avait déjà cassé les carreaux et ébranlé la fenêtre, Dagobert crut avoir mal fermé l’espagnolette, attribua ce second accident à la même cause que le premier, et crut que l’effroi des orphelines les abusait.

– Enfin, c’est passé, n’y pensons plus, calmez-vous, leur dit-il.

– Mais, toi, pourquoi nous as-tu quittées si vite... Dagobert ?

– Oui, maintenant je m’en souviens ; n’est-ce pas, ma sœur, nous avons entendu un grand bruit, et Dagobert a couru vers l’escalier en disant : « Mon cheval... que fait-on à mon cheval ? »

– C’était donc Jovial qui hennissait ?

Ces questions renouvelaient les angoisses du soldat, il craignait d’y répondre, et dit d’un air embarrassé :

– Oui... Jovial hennissait..., mais ce n’était rien !... Ah çà ! il nous faut de la lumière. Savez-vous où j’ai mis mon briquet hier soir ? Allons, je perds la tête, il est dans ma poche. Il y a là une chandelle ; je vais l’allumer pour chercher dans mon sac des papiers dont j’ai besoin.

Dagobert fit jaillir quelques étincelles, se procura de la lumière, et vit en effet la croisée encore entr’ouverte, la table renversée, et auprès de la lampe son havresac ; il ferma la fenêtre, releva la petite table, y plaça son sac et le déboucla afin d’y prendre son portefeuille, placé, ainsi que sa croix et sa bourse, dans une espèce de poche pratiquée contre le doublure et la peau du sac, qui ne paraissait pas avoir été fouillé, grâce au soin avec lequel les courroies étaient rajustées. Le soldat plongea sa main dans la poche qui s’offrait à l’entrée du havresac, et ne trouva rien. Foudroyé de surprise, il pâlit, et s’écria en reculant d’un pas :

– Comment ! ! ! rien !

– Dagobert, qu’as-tu donc ? dit Blanche.

Il ne répondit pas. Immobile, penché sur la table, il restait la main toujours plongée dans la poche du sac... Puis bientôt, cédant à un vague espoir... car une si cruelle réalité ne lui paraissait pas possible, il vida précipitamment le contenu du sac sur la table : c’étaient de pauvres hardes à moitié usées, son vieil habit d’uniforme des grenadiers à cheval de la garde impériale, sainte relique pour le soldat. Mais Dagobert eut beau développer chaque objet d’habillement, il n’y trouva ni sa bourse ni son portefeuille, où étaient ses papiers, les lettres du général Simon et sa croix. En vain, avec cette puérilité terrible qui accompagne toujours les recherches désespérées, le soldat prit le havresac par les deux coins et le secoua vigoureusement : rien n’en sortit.

Les orphelines se regardaient avec inquiétude, ne comprenaient rien au silence et à l’action de Dagobert, qui leur tournait le dos. Blanche se hasarda de lui dire d’une voix timide :

– Qu’as-tu donc ?... Tu ne réponds pas... Qu’est-ce que tu cherches dans ton sac ?

Toujours muet, Dagobert se fouilla précipitamment, retourna toutes ses poches : rien.

Peut-être pour la première fois de sa vie, ses deux enfants comme il les appelait, lui avaient adressé la parole sans qu’il leur répondît.

Blanche et Rose sentirent de grosses larmes mouiller leurs yeux ; croyant le soldat fâché, elles n’osèrent plus lui parler.

– Non... non... ça ne se peut pas... non, disait le vétéran en appuyant sa main sur son front et en cherchant encore dans sa mémoire où il aurait pu placer des objets si précieux pour lui, ne voulant pas encore se résoudre à leur perte... Un éclair de joie brilla dans ses yeux... il courut prendre sur une chaise la valise des orphelines : elle contenait un peu de linge, deux robes noires et une petite boîte de bois renfermant un mouchoir de soie qui avait appartenu à leur mère, deux boucles de cheveux, et un ruban noir qu’elle portait au cou. Le peu qu’elle possédait avait été saisi par le gouverneur russe par suite de la confiscation. Dagobert fouilla et refouilla tout... visita jusqu’aux derniers recoins de la valise... Rien... rien...

Cette fois, complètement anéanti, il s’appuya sur la table.