Il s'approcha du garçon et, d'une voix sévère, lui dit : «N'oublie pas de lire attentivement ! Parce que quand je serai rentré je t'interrogerai sur chaque page, et gare à toi si tu en as sauté une. »
— Le sermon fait quatorze pages et demie, dit sa mère, comme pour en rajouter. Il vaudrait mieux que tu t'installes tout de suite, que tu aies le temps de tout lire.
Là-dessus ils finirent quand même par s'en aller, et le garçon qui s'était avancé jusqu'à la porte pour les regarder partir sentait qu'il avait été pris au piège. « En ce moment, ils sont sûrement en train de se féliciter d'avoir si bien arrangé les choses, et de m'avoir obligé à courber la tête sur ce sermon tant qu'ils seront partis », pensait-il.
Mais père et mère ne se félicitaient mutuellement de rien du tout, ils étaient plutôt tristes. La maison leur appartenait, certes, mais ils ne possédaient comme terre qu'un lopin guère plus grand qu'un jardin potager. Quand ils s'étaient installés là on ne pouvait y élever qu'un cochon et quelques poules, mais ces gens étaient exceptionnellement énergiques et courageux et, aujourd'hui, ils possédaient en outre des vaches et quelques oies. Leur sort s'était considérablement amélioré et, par cette belle matinée, ils auraient rejoint le temple contents et satisfaits si leur fils ne les avait pas énormément préoccupés. Le père lui reprochait sa paresse et sa lenteur : le garçon n'avait rien voulu apprendre à l'école et était un tel bon à rien que c'était tout juste si on pouvait le laisser garder les oies. Et la mère ne contredisait aucun de ces points mais ce qui la chagrinait surtout, c'était son caractère emporté et méchant, sa dureté envers les animaux et sa méchanceté envers les gens. « Que Dieu brise sa méchanceté et lui donne un autre caractère ! », dit la mère. « Sinon il fera notre malheur à tous et le sien par-dessus le marché. »
Le garçon resta un long moment à se demander s'il allait lire ou non le sermon. Puis il s'accorda avec lui-même pour penser que cette fois-ci il valait mieux obéir. Il s'installa dans le fauteuil du presbytère et commença à lire. Mais lorsqu'il eut passé un moment à prononcer machinalement les mots à mi-voix, il se rendit compte que le murmure l'endormait et qu'il plongeait du nez.
Dehors, c'était la plus belle des journées printanières. On n'était encore qu'au vingt du mois de mars mais le garçon habitait dans la commune de Västra Vemmenhôg, tout au sud de la Scanie1, où le printemps battait déjà son plein. Ce n'était pas encore la grande verdure, mais une fraîcheur, des bourgeons. L'eau coulait dans tous les fossés et le tussilage fleurissait sur les talus. Les lichens collés sur les pierres du muret étaient bruns et lisses. La forêt de hêtres tout au bout là-bas semblait gonfler, se faire d'instant en instant plus lourde. Le ciel était haut et du bleu le plus pur. La porte de la maisonnette était entrouverte et, de l'intérieur, on entendait les trilles des alouettes. Les poules et les oies étaient sorties dans la cour et les vaches, respirant les effluves du printemps jusque dans leur étable, lançaient de temps en temps un meuglement.
Le garçon, lui, lisait et plongeait du nez et luttait contre le sommeil. «Non, se disait-il, il ne faut pas que je m'endorme, sinon jamais je n'aurai le temps de lire ça ce matin. »
Mais rien n'y fit, et il s'endormit.
Il n'aurait su dire combien de temps il avait dormi mais un léger bruit dans son dos l'avait réveillé.
Juste en face du garçon, sur le rebord de la fenêtre, était posé un petit miroir, et dans lequel presque toute la pièce se reflétait. Au moment où le garçon leva la tête, ses yeux rencontrèrent le miroir, et il s'aperçut qu'on avait ouvert le couvercle du coffre de sa mère.
Car maman possédait un grand coffre en chêne, lourd et bardé de fer, que personne d'autre qu'elle ne devait ouvrir. Maman y rangeait tout ce qu'elle avait hérité de sa propre mère et auquel elle tenait tout particulièrement. Quelques habits de paysanne d'autrefois, en drap rouge, avec le corsage court sur la taille, les jupes plissées et les plastrons brodés de perles. Il y avait aussi des coiffes blanches et amidonnées, de lourdes boucles d'argent et des chaînettes. Les gens ne portaient plus ce genre de choses, et plusieurs fois maman avait envisagé de se débarrasser de ces vieilleries mais elle n'avait jamais vraiment eu le cœur de le faire.
Et le garçon voyait donc maintenant très nettement dans le miroir que le couvercle du coffre était ouvert, ce qu'il n'arrivait pas à comprendre puisque, avant de partir, maman avait fermé le coffre. Le sachant seul à la maison, jamais maman n'aurait laissé le coffre ouvert.
Il se sentit mal à l'aise. Il avait peur : un voleur s'était peut-être introduit dans la maison ? Il n'osait pas bouger. Il resta immobile, les yeux fixés sur le miroir.
Tandis qu'il attendait ainsi sans bouger que le voleur voulût bien se manifester, il commença à se demander ce qu'était cette ombre noire qui tombait sur le bord du coffre.
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