Le temps est heureusement venu de rétablir ce texte dans son intégralité, celle qui lui permettra, espérons-le, de sortir plus souvent de l'étagère des « livres pour enfants ». Selma Lagerlôf, on le verra à la lecture, n'a pas assemblé des cubes qui arrangés différemment ou diminués de moitié formeraient un ensemble aussi valable. C'est un roman qu'elle a écrit, roman que l'on peut bien sûr résumer aux enfants, mais dont il est juste qu'on connaisse aussi la version intégrale, avec toutes ses descriptions de paysages, de variétés d'arbres, de roches et de climat de telle ou telle province, mais toujours contées avec art et subtilité. Et l'on s'apercevra vite, en se souvenant qu'il parut au tout début de ce siècle, que nous avons là l'un des premiers romans écologiques, un hymne aux capacités de l'homme qui sait rester maître de ses outils, et un plaidoyer pour le provincialisme écrit à l'époque où l'on célébrait autant la machine que les nationalismes. Un roman qui, si l'équivalent avait été écrit par un écrivain de chez nous, nous permettrait peut-être de mieux situer l'Anjou ou d'avoir une idée moins cartésienne de ce Gerbier de Jonc où la Loire prend sa source.

Le lecteur étranger à la Suède ne doit pas non plus oublier qu'il dispose là d'un des plus beaux guides touristiques écrits sur un pays. À l'heure où l'on veut découvrir les continents lointains sur les traces des carnets de route de divers explorateurs, pourquoi ne pas essayer plus simplement la Suède, sur les traces d'un vol d'oies sauvages ?

 

La langue suédoise a très rapidement évolué ces dernières décennies, le débat sur une modernisation de l'orthographe n'a pas été repoussé autant qu'en France, à tort peut-être. En Suède, aujourd'hui, le vouvoiement a disparu et les conjugaisons sont réduites à leur plus simple expression. Le livre de Selma Lagerlôf, bien que jugé très moderne de style à l'époque de sa parution, a été revu depuis par ses éditeurs. Nous nous sommes basés, pour cette traduction, sur l'édition publiée par Bonniers en 1981.

 

Comme il a été dit plus haut, ce livre peut être considéré comme un merveilleux guide de voyage, y figurent par conséquent nombre de noms de lieux. La toponymie, toujours exacte, du pays que parcourt Nils Holgersson est souvent très aisément déchiffrable par un Suédois : Malmö c'est L'île au minerai, Sjôbo c'est L'habitation du lac, Åhus : La maison de la rivière, Gårdby : Le village de la ferme... Fréquemment donc, les noms sont des composés de mont-, lac-, rivière-, -château, etc., dans une orthographe et une forme qui n'a pratiquement pas été modifiée par le temps, comme en France on trouve des Villevieille, Le Havre, etc. Et l'on rencontre plus rarement que chez nous des noms d'origines très anciennes, dialectales ou étrangères. En tête des notes figure un petit glossaire pouvant servir à la compréhension de certains noms de lieux.

Mais ce genre de toponymie peut parfois pousser à la redondance : ainsi, Vombsjô veut dire le lac de Vomb, et le touriste français, qui n'est pas censé le savoir, parlera probablement du lac de Vombsjô puisque c'est ce qu'il lit sur sa carte. En tant que traducteurs, nous avons donc parlé parfois du lac de Vomb et parfois du Vombsjô, mais nous n'avons évidemment pas traduit Stockholm par l'îlot aux grumes ni l'îlot aux troncs ni l'île de Stock. Plus d'une fois aussi, conscients que cela n'était pas littéralement correct, nous avons préféré garder la redondance. Bosjökloster, par exemple, que l'on trouvera ainsi inscrit sur une carte, reste pour nous le cloître de Bosjôkloster, même si kloster veut dire cloître. On fait bien un peu la même erreur en français quand on parle des montagnes des Andes ! Le problème se posait aussi pour l'article défini — postposé en suédois et qui, de plus, apparaît souvent en fin des noms de lieux, rivières ou montagnes — mais, gardant en mémoire l'algèbre (où l'article défini est répété ! ), nous avons estimé que le voyageur en chambre, ou sur le terrain, ne se préoccuperait pas forcément de ces erreurs conscientes, ni de notes qui, à chaque fois, préciseraient ces détails linguistiques — nous les avons donc évitées. Les notes qui figurent en fin de volume ne cherchent qu'à apporter plus de renseignements géographiques, historiques ou sociologiques, et le lecteur qui ne voudrait pas interrompre sa lecture peut sans mal les éviter puisque le simple cours du récit apporte toujours les éléments nécessaires à la compréhension. De la même manière, nous avons louvoyé entre les noms propres traduits ou non : «Dunfin» devient Douce-Plume, avec une tonalité féminine, même si Doux-Duvet serait plus précisément traduit ; Mârten le jars fait un bon Martin, mais Smirre le renard garde son nom qui sonne pointu et rusé. Ce sont là des inconséquences mais il fallait aussi essayer de conserver la couleur locale, et surtout prendre du plaisir en servant d'interprète.

 

MARC de GOUVENAIN et LENA GRUMBACH

I

LE GARÇON

Le tomte

Dimanche 20 mars.

Il était une fois un garçon. Âgé d'environ quatorze ans, il était grand et dégingandé et ses cheveux étaient blonds comme le lin. Il ne valait pas grand-chose : son plaisir, c'était dormir et manger, sans compter qu'il aimait faire des bêtises.

On était dimanche matin et les parents de ce garçon se préparaient pour aller au temple. Le garçon, quant à lui, était assis en bras de chemise au coin de la table et pensait à la chance qu'il avait : son père et sa mère partis, il serait tranquille pour quelques heures. « Je vais pouvoir décrocher le fusil de papa et l'essayer une ou deux fois sans que personne ne s'en mêle », se disait-il en lui-même.

Mais ce fut presque comme si le père avait deviné les pensées du garçon car, alors qu'il franchissait le seuil pour s'en aller, il s'arrêta et se retourna.

— Puisque tu ne veux pas venir à l'église avec ta mère et moi mais préfères rester ici, dit-il, il me semble que tu pourrais au moins en profiter pour lire le sermon. Veux-tu me promettre de le faire ?

— Oui, dit le garçon, bien sûr que je vais le faire. Mais il pensait évidemment qu'il ne lirait que tant qu'il en aurait envie.

Jamais, il l'aurait juré, le garçon n'avait vu sa mère aussi empressée. En un clin d'œil elle fut près de l'étagère, attrapa le sermonnaire de Luther et le posa sur la table devant la fenêtre, ouvert à la page du sermon du jour. Elle feuilleta aussi le Catéchisme et le posa ouvert à côté du sermonnaire. Et, pour finir, elle tira près de la table le fauteuil à oreillettes qu'ils avaient acheté l'année précédente à la vente aux enchères du presbytère de Vemmenhôg, ce fauteuil dans lequel personne d'autre que le père n'avait le droit de s'asseoir.

Assis à la même place, le garçon se disait que sa mère dépensait beaucoup d'énergie pour lui présenter tout cela puisqu'il n'avait pas l'intention de lire plus d'une page ou deux. Alors, pour la deuxième fois, ce fut comme si son père avait lu dans ses pensées.