Retournez d'où vous venez ! Retournez d'où vous venez ! »

Les oies sauvages descendaient pour se faire mieux entendre et criaient encore : « Venez, nous vous apprendrons à voler et à nager ! »

Ce qui vexait fort les oies domestiques qui ne répondaient pas même par un caquètement.

Mais les oies sauvages descendaient encore plus, jusqu'à frôler pratiquement le sol, puis brusquement remontaient en flèche, comme saisies de frayeur.

— Oh, la là ! criaient-elles. Ce n'étaient pas des oies. Ce n'étaient que des moutons. Que des moutons.

Celles d'en bas devenaient furieuses et criaient : « Puissent les chasseurs vous abattre toutes tant que vous êtes, tant que vous êtes ! »

En entendant ces plaisanteries, le garçon riait. Puis il se rappelait dans quelle mauvaise posture il se trouvait, et il se mettait à pleurer. Mais tout de suite après il riait à nouveau.

Jamais auparavant il n'avait avancé à une telle vitesse, lui qui avait toujours aimé lancer un cheval au grand galop. Et il n'avait bien sûr jamais imaginé qu'en haut l'air pouvait être aussi frais, si chargé de bonnes odeurs d'humus et de résine. Jamais non plus il n'avait imaginé ce que pouvait être un voyage si haut au-dessus du sol. C'était comme de quitter tous les soucis, les chagrins et tous les déboires imaginables.

II

AKKA DE KEBNEKAÏSE

Le soir

Le grand jars domestique se sentait très fier de pouvoir suivre les oies sauvages dans les airs, de pouvoir aller et venir en leur compagnie au-dessus de la Scanie et de pouvoir se moquer des oies domestiques. Mais l'intensité de son bonheur ne l'empêcha pas de ressentir la fatigue à mesure que l'après-midi avançait. Il avait beau essayer de respirer plus profondément, de battre plus rapidement des ailes, les autres restaient quand même plusieurs longueurs d'oies devant lui.

Lorsque celles qui volaient en dernier remarquèrent que le jars n'arrivait pas à suivre, elles appelèrent l'oie qui volait à la pointe du V de leur bande et qui guidait leur vol : « Akka de Kebnekaïse ! »

— Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda alors l'oie de tête.

— Le blanc prend du retard. Le blanc prend du retard.

— Dites-lui que c'est plus facile de voler vite que lentement ! cria l'oie de tête sans ralentir l'allure.

Le jars essaya bien de suivre le conseil et d'accélérer, mais l'effort le fatigua à un tel point qu'il tomba jusque vers les boules des saules élagués qui bordaient les champs et les prés.

— Akka, Akka, Akka de Kebnekaïse ! crièrent alors les oies de queue voyant les difficultés du jars.

— Que me voulez-vous encore ? demanda l'oie de tête, apparemment irritée.

— Le blanc tombe vers le sol. Le blanc tombe vers le sol.

— Dites-lui qu'il est plus facile de voler haut que bas ! cria l'oie de tête, sans ralentir le moins du monde mais lancée comme auparavant.

Le jars essaya de suivre ce nouveau conseil, mais quand il voulut s'élever, il fut si essoufflé qu'il sentit sa poitrine se rompre.

— Akka ! Akka ! crièrent celles qui volaient en queue.

— Mais vous ne pouvez pas me laisser voler tranquillement ! s'exclama l'oie de tête, terriblement agacée.

— Le blanc va s'écraser par terre. Le blanc va s'écraser par terre !

— Dites-lui que celui qui n'a pas la force de nous suivre n'a qu'à rentrer chez lui ! cria l'oie de tête sans aucune intention de modifier son allure.

«Nous y voilà. C'est donc ça », pensa le jars, comprenant tout à coup que les oies sauvages n'avaient jamais eu l'intention de l'emmener avec elles jusqu'en Laponie. Elles ne l'avaient incité à abandonner la ferme que pour s'amuser.

Et il était furieux de sentir ses forces l'abandonner en ce moment où il aurait tant voulu montrer à ces vagabondes qu'une oie domestique était aussi capable de quelque chose. Et le plus vexant, c'était d'être tombé sur Akka de Kebnekaïse. Car tout jars de ferme fût-il, il avait entendu parler de cette oie chef de bande nommée Akka et âgée de plus de cent ans. Sa renommée était si grande que les meilleures oies sauvages se joignaient à elle. Mais personne ne nourrissait autant de mépris pour les oies domestiques qu'Akka et sa bande, et il aurait voulu leur montrer qu'il les valait.

Il volait lentement à la traîne en se demandant s'il allait faire demi-tour ou continuer quand le gamin qu'il portait sur son dos dit soudain : « Mon cher Martin jars, dis-toi bien qu'il sera impossible pour toi qui n'as jamais volé auparavant de suivre les oies sauvages jusqu'en Laponie. Ne devrais-tu pas faire demi-tour avant d'être épuisé ? »

Mais si le jars détestait quelqu'un à la ferme, c'était bien ce gamin, et dès qu'il comprit que ce morveux l'estimait incapable d'entreprendre le voyage, sa décision fut prise : il tiendrait le coup.

— Dis encore un mot là-dessus et je te précipite dans la première marnière que nous survolerons ! dit-il, tandis que la rage lui redonnait de telles forces qu'il se mit à voler presque aussi bien que les autres.

Il n'aurait certainement pas continué longtemps ainsi, mais il n'eut pas à le faire car le soleil descendait rapidement et, dès qu'il se coucha, les oies piquèrent droit vers le sol. Et, avant même d'avoir eu le temps de comprendre, le garçon et le jars se trouvèrent sur la rive du lac de Vomb.

«Nous allons sans doute passer la nuit ici », pensa le gamin en sautant à bas du dos du jars.

Il se trouvait sur une étroite bande de sable et, devant lui, s'étendait un assez grand lac, plutôt inquiétant puisque recouvert d'une croûte de glace noircie, inégale et pleine de fissures et de trous comme c'est souvent le cas pour la glace au printemps. Mais celle-ci ne durerait certainement pas longtemps. Elle ne collait déjà plus au rivage et en était séparée par une ceinture d'eau noire et lisse. Mais elle répandait encore sur le paysage le froid et la tristesse de l'hiver.

L'autre côté du lac semblait occupé par des terres dégagées et claires mais les oies avaient choisi d'atterrir dans une vaste plantation de pins. Et cette forêt de résineux semblait avoir la faculté de retenir l'hiver. Partout ailleurs le sol était nu mais sous les branches basses la neige subsistait. Une neige qui avait fondu puis regelé, fondu encore et regelé, si bien qu'elle était dure comme de la glace.

Le garçon se sentait plongé dans un pays sauvage et hivernal, et il aurait presque crié d'inquiétude.

Il avait faim. De toute la journée il n'avait rien mangé. Mais où trouver de la nourriture ? Rien de mangeable ne pousse par terre ou dans les arbres au mois de mars.

Oui, où trouverait-il à manger, et chez qui logerait-il, qui ferait son lit, qui l'inviterait près de son feu, et qui le protégerait des animaux sauvages ?

Car le soleil avait disparu maintenant, et le froid montait du lac et l'obscurité descendait du ciel, et la terreur avançait sur les traces du crépuscule, et dans la forêt on commençait à entendre toute sorte de bruissements et de craquements.

Elle était loin l'humeur bravache qu'il avait ressentie en l'air, l'angoisse maintenant le faisait chercher des yeux ses compagnons de voyage.