Personne d'autre ne pouvait l'aider.
Alors il s'aperçut que le jars était encore plus mal en point que lui. Il gisait à l'endroit même où il avait atterri et semblait tout près de mourir. Son cou était mollement étendu par terre, ses yeux restaient clos et sa respiration n'était plus qu'un souffle.
— Mon cher Martin jars, dit le garçon, essaie de boire une gorgée d'eau ! Le lac est à moins de deux pas.
Mais le jars ne fit pas un mouvement.
Le garçon, autrefois, avait sans conteste fait preuve de méchanceté envers tous les animaux, le jars y compris, mais maintenant il se disait que le jars était son seul soutien, et il avait terriblement peur de le perdre. Sans tarder, il se mit à le pousser et à le bousculer pour l'approcher de l'eau. Le jars était gros et lourd et le garçon dut peiner tant et plus, mais il finit par y arriver.
Le jars arriva dans le lac la tête la première. Un instant il resta allongé immobile dans la boue, mais bientôt il sortit le bec, secoua l'eau de ses yeux et s'ébroua. Puis il s'avança dans l'eau et s'éloigna en glissant fièrement entre les roseaux et les massettes.
Les oies sauvages l'y avaient précédé, sans se soucier ni de lui ni de son cavalier. Elles avaient eu le temps de se baigner et de faire leur toilette, et maintenant elles mâchonnaient du potamot à demi pourri et du trèfle d'eau.
Le jars blanc eut la chance d'apercevoir une petite perche. Il l'attrapa vivement, nagea jusqu'à la rive et la déposa devant le garçon.
— C'est pour toi, pour te remercier de m'avoir aidé à atteindre l'eau, dit-il.
Pour la première fois depuis le début de la journée le garçon entendait un mot gentil. Et sa joie fut telle qu'il aurait sauté au cou du jars s'il l'avait osé. Et le cadeau lui plaisait aussi. Car même si sa première réaction avait été de penser qu'il était impossible de manger du poisson cru, il avait maintenant envie d'essayer.
Il tâta pour voir s'il avait encore son couteau et, heureusement, sentit la gaine encore suspendue au bouton de sa culotte, même si le couteau rétréci n'était guère plus long qu'une allumette. Bah, il suffit pour écailler et nettoyer le poisson dont la chair ne tarda pas à disparaître dans l'estomac du garçon.
Une fois rassasié, il se sentit honteux d'avoir ainsi mangé de la chair crue. « On voit bien que je ne suis plus un être humain mais un vrai tomte », se dit-il.
Tant que le garçon mangeait, le jars était resté à côté de lui sans rien dire mais, le dernier morceau avalé, il dit à voix basse :
— J'ai l'impression que nous sommes tombés sur une bande d'oies arrogantes qui méprisent tout oiseau domestique.
— Oui, je m'en suis rendu compte, dit le garçon.
— Quel honneur ce serait pour moi si je pouvais les suivre jusqu'en Laponie et leur montrer qu'une oie domestique ne manque pas de courage.
— Ouiii, dit le garçon en hésitant car il ne voyait pas le jars capable de mener à bien l'entreprise, mais il ne désirait pas non plus le contredire.
— Mais je crois que je ne serai pas capable de me débrouiller seul tout au long d'une telle équipée, dit le jars, et je voudrais te demander de venir avec moi, tu m'aiderais, tu sais.
Le garçon n'avait bien sûr pas envisagé autre chose que de retourner chez lui au plus vite, et il fut si étonné qu'il ne sut que répondre.
— Je croyais que nous étions fâchés, toi et moi ? dit-il.
Mais le jars semblait avoir tout oublié. Il se souvenait seulement que le garçon venait de lui sauver la vie.
— Je devrais retourner chez papa et maman, dit le garçon.
— Oui. Je te ramènerai chez eux quand viendra l'automne, dit le jars. Je ne te quitterai pas avant de t'avoir déposé sur le seuil de ta maison.
Le garçon se disait que ce pourrait être un avantage de ne pas se montrer à ses parents avant quelque temps. La proposition lui paraissait opportune, et il allait dire qu'il était d'accord lorsqu'ils entendirent un brouhaha derrière eux. C'étaient les oies sauvages, toutes sorties de l'eau en même temps et qui se secouaient. Puis elles se mirent en ligne, l'oie meneuse en tête, et s'avancèrent vers eux.
Maintenant que le jars observait les oies sauvages, il se sentait mal à l'aise. Il les avait imaginées très semblables aux oies domestiques, avec beaucoup d'affinités entre lui et elles. Mais elles étaient beaucoup plus petites que lui et aucune n'était blanche, toutes étaient grises avec des moirures brunes. Et il eut presque peur de leur regard. Leurs yeux étaient jaunes et brillaient comme si un feu avait brûlé à l'intérieur. Le jars avait toujours appris qu'il était plus convenable de marcher lentement en dodelinant, mais celles-ci ne marchaient pas, elles couraient presque. Mais ce qui l'inquiéta le plus, ce fut leurs pieds, ils étaient larges, avec des soles usées et déchirées. On voyait que les oies sauvages ne se souciaient pas de l'endroit où elles posaient leurs pieds. Elles ne contournaient pas les obstacles. À part cela, elles étaient très soignées et très propres, mais leurs pieds révélaient des pauvres venus des contrées sauvages.
A peine le jars eut-il le temps de chuchoter au garçon : « Réponds sans crainte, mais ne dis pas qui tu es ! » qu'elles étaient déjà devant eux.
Dès que les oies se furent arrêtées devant eux, elles inclinèrent le cou plusieurs fois de suite, et le jars fit de même, plus de fois encore. Puis, lorsque les salutations furent terminées, l'oie meneuse dit : « Maintenant, nous aimerions savoir qui vous êtes. »
— Il n'y a pas grand-chose à dire en ce qui me concerne, dit le jars.
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