Je te demanderai simplement de ramasser le plus vite possible autant de paille et d'herbe que tu pourras en porter.
Lorsque le garçon eut les bras chargés d'herbe sèche, le jars le saisit par le col de la chemise, le souleva et rejoignit sur la glace les oies sauvages qui s'endormaient déjà, le bec sous l'aile.
— Maintenant, étale cette herbe pour que j'aie quelque chose sous les pieds et que je ne reste pas collé sur la glace ! Aide-moi, et je t'aiderai ! dit le jars.
Le garçon s'exécuta et, lorsque ce fut fini, le jars le pinça une nouvelle fois par le col de la chemise et le fourra sous son aile.
— Je crois qu'ici tu seras au chaud, dit-il en resserrant son aile.
Le garçon était tellement plongé dans le duvet qu'il ne put répondre, mais il était couché, et au chaud, et en un instant il s'endormit.
La nuit
On a raison de dire que la glace est toujours perfide et traîtresse. Au milieu de la nuit ; la croûte de glace flottante se déplaça sur le lac de Vomb et vint toucher la rive. Or il advint que Smirre le renard, qui à cette époque demeurait à l'est du lac dans le parc du cloître d'Oved8, s'en rendit compte au cours de sa chasse nocturne. Le soir déjà, Smirre avait aperçu les oies sauvages, mais il n'avait pas espéré pouvoir en attraper une. Il s'avança donc sans tarder sur la glace.
Lorsque Smirre fut tout près des oies sauvages, il glissa et ses griffes raclèrent la glace. Le bruit réveilla les oies qui battirent des ailes pour s'envoler. Mais Smirre était trop rapide pour elles. Il bondit en avant, comme propulsé par une catapulte, saisit une oie par l'os de l'aile et rejoignit la terre ferme.
Cette nuit-là, pourtant, les oies sauvages n'étaient pas seules sur la glace, un homme était parmi elles, si petit fût-il. Le garçon s'était réveillé en entendant le jars battre des ailes. Il était tombé sur la glace, tout ébahi, et il n'avait rien compris à cette agitation avant d'apercevoir un chien bas sur pattes qui courait sur la glace, une oie dans la gueule.
Sans perdre un instant, le garçon se lança à la poursuite de ce chien voleur d'oie. Il entendit certes le jars lui crier : « Prends garde à toi, Poucet ! Prends garde à toi ! ». Mais le garçon estimait qu'il n'avait rien à craindre d'un si petit chien, et il se précipita de plus belle.
L'oie sauvage que Smirre le renard traînait après lui entendit le claquement sur la glace des sabots du gamin et elle n'en crut pas ses oreilles. « Ce marmot aurait-il l'intention de me sauver du renard ? » se demanda-t-elle. Et, malgré sa profonde détresse, elle émit un drôle de caquètement au fond de sa gorge, presque comme si elle avait ri.
«Tout ce qui l'attend, c'est qu'il va tomber dans une crevasse de la glace», pensa-t-elle.
Mais, malgré l'obscurité de la nuit, le garçon distinguait nettement toutes les fissures et tous les trous de la glace et il les enjambait par de longs sauts intrépides. Car il disposait maintenant de la bonne vue des tomtes qui voient dans le noir. Il voyait le lac et la rive aussi nettement qu'en plein jour.
Smirre le renard quitta la plaque de glace là où elle touchait la terre et, tandis qu'il grimpait péniblement le talus de la berge, le garçon lui cria : « Lâche cette oie, canaille ! » Smirre se demanda qui pouvait crier ainsi, mais il ne perdit pas de temps à regarder derrière lui, et il détala encore plus vite.
Le renard pénétra alors dans une forêt de hêtres immenses et magnifiques, et le garçon l'y suivit sans s'attarder à la pensée du danger qu'il courait. Il pensait sans cesse, par contre, au dédain dont les oies sauvages avaient fait preuve à son égard la veille au soir, et il brûlait d'envie de leur montrer qu'un homme est quand même légèrement supérieur au reste de la création.
Il n'arrêtait pas de crier au chien de lâcher sa proie. «Mais quelle sorte de chien es-tu donc pour oser voler une oie ? cria-t-il. Relâche-là immédiatement sinon tu vas voir la raclée que tu vas prendre ! Pose-la sinon je dirai à ton maître ce que tu fais ! »
Quand Smirre le renard comprit qu'on le prenait pour un chien qui craint la trique, il trouva cela si ridicule qu'il faillit en perdre l'oie. Car Smirre était un fieffé brigand, qui ne se contentait pas de chasser les rats et les musaraignes dans les champs, il était aussi suffisamment audacieux pour s'approcher des fermes et y voler poules et oies. Il se savait redouté dans toute la région. Jamais il n'avait entendu aussi ridicule depuis qu'il était petit renardeau.
Le garçon courait si vite qu'il avait l'impression de voir les gros hêtres glisser sur ses côtés, et il gagnait du terrain sur Smirre. Enfin, il arriva si près de lui qu'il put lui saisir la queue. « Maintenant, tu vas me la donner cette oie ! » cria-t-il en tirant de toutes ses forces. Mais il n'était pas de taille à arrêter Smirre. Et le renard l'entraîna, faisant virevolter les feuilles de hêtre sèches autour de lui.
Smirre, entre-temps, semblait avoir compris à quel point son poursuivant était inoffensif. Il s'arrêta, déposa l'oie par terre et appuya sur elle ses pattes de devant pour l'empêcher de s'envoler. Il s'apprêtait à lui trancher la gorge, mais auparavant il ne put s'empêcher de taquiner le gamin.
— Cours appeler mon maître, parce que je vais la croquer son oie ! dit-il.
On imagine la surprise du garçon lorsqu'il vit le museau pointu de ce chien qu'il avait poursuivi et entendit sa voix rauque et furieuse. Mais en même temps il fut si outré d'entendre le renard se moquer de lui, qu'il ne lui vint pas à l'idée d'avoir peur. Il agrippa plus fermement la queue, prit appui sur une racine de hêtre et, au moment où le renard ouvrait la gueule au-dessus de la gorge de l'oie, il tira brusquement de toutes ses forces.
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