Smirre, totalement pris au dépourvu, se sentit reculer de plusieurs pas, ce qui permit à l'oie sauvage de se dégager, et de s'envoler lourdement. Une de ses ailes était blessée et par conséquent presque inutilisable, et à cela s'ajoutait le fait qu'elle ne voyait rien dans l'obscurité de la nuit dans la forêt et s'y retrouvait aussi désemparée qu'un aveugle. Elle fut donc incapable d'aider le garçon mais réussit à trouver un passage à travers la voûte des branches et à retourner vers le lac.
Smirre, quant à lui, se jeta sur le garçon.
— La première m'a échappé, mais j'aurai l'autre ! cria-t-il d'une voix exprimant toute sa fureur.
— Ne va pas t'imaginer ça ! rétorqua le garçon, ravi d'avoir sauvé l'oie. Toujours agrippé à la queue du renard, il fila de l'autre côté quand celui-ci essaya de l'attraper.
Et commença alors une sarabande dans la forêt, au milieu d'un tourbillon de feuilles de hêtres. Smirre se tordait, mais la queue suivait, et le garçon s'y agrippait si bien que le renard était incapable de l'attraper.
Au début, le garçon était encore si heureux de son succès qu'il ne faisait que rire et se moquer du renard, mais Smirre avait la ténacité des vieux chasseurs, et le garçon finit par craindre de se faire attraper.
C'est alors qu'il aperçut un jeune hêtre qui avait poussé droit comme un mince échalas pour essayer d'atteindre l'air libre au-dessus du toit de branches que formaient au-dessus de lui les vieux hêtres. Il lâcha soudain la queue du renard et grimpa dans le hêtre tandis que Smirre le renard, emporté par sa fureur, continuait de courir après sa queue.
— Tu peux t'arrêter de danser maintenant ! cria le garçon.
Mais Smirre, incapable de supporter l'affront de n'avoir su vaincre un gamin comme ça, se coucha au pied de l'arbre, bien décidé à attendre.
Là-haut, à califourchon sur une branche frêle, la position du garçon était incommode. Le jeune hêtre n'atteignant pas encore la voûte de la forêt, il lui était impossible de passer sur un arbre voisin, et il n'osait pas redescendre.
Il avait si froid qu'il faillit être paralysé et lâcher la branche, et il avait terriblement sommeil, mais il n'osait pas s'endormir, de peur de tomber.
La forêt plongée dans la nuit était horriblement lugubre. Jamais auparavant il n'avait su ce que voulait dire la nuit. C'était comme si le monde entier avait été figé pour ne plus jamais se réveiller.
Puis l'aurore vint, et le garçon fut heureux de voir les choses reprendre leur aspect habituel, même si le froid semblait encore plus vif que plus tôt dans la nuit.
Lorsque enfin le soleil parut, il n'était pas jaune, mais rouge. Le garçon lui trouva un air colère et se demanda ce qui pouvait le fâcher ainsi. Peut-être était-ce parce que la nuit avait amené tant de froidure et de tristesse sur la terre pendant son absence ?
L'une après l'autre, des gerbes de rayons de soleil découvraient les ravages de la nuit, et les choses rougissaient comme si elles avaient eu mauvaise conscience. Les nuages dans le ciel, les troncs des hêtres lisses comme de la soie, les branchettes entrecroisées de la voûte des arbres, la gelée blanche qui recouvrait le tapis de feuilles de hêtres, tout s'enflammait et devenait rouge.
Mais de plus en plus de gerbes de rayons emplissaient l'espace, et bientôt toute l'horreur de la nuit fut chassée. La paralysie disparue, plus de choses vivantes qu'on aurait pensé s'animaient. Le grand pic noir à capuchon rouge se mit à marteler du bec un tronc d'arbre. L'écureuil sortit de son nid chargé d'une noisette et s'installa sur une branche pour commencer à la ronger. L'étourneau vola, une racine dans son bec, et le pinson chantait au sommet de l'arbre.
Alors le garçon comprit que le soleil avait annoncé à tous ces petits animaux : « Réveillez-vous maintenant, et quittez vos nids ! Je suis là maintenant. Vous n'avez plus rien à craindre. »
Là-bas sur le lac on entendait les cris des oies sauvages se préparant à l'envol et, un moment plus tard, les quatorze oies survolèrent la forêt. Le garçon essaya de les appeler, mais elles volaient trop haut pour entendre sa voix. Elles s'imaginaient probablement que le renard l'avait dévoré depuis longtemps. Elles n'estimaient même pas nécessaire de le rechercher.
Le garçon était sur le point de pleurer d'angoisse, mais le soleil était maintenant dans le ciel, jaune d'or et souriant, emplissant de courage le monde entier. « Non, disait le soleil. Non, Nils Holgersson, ne sois ni anxieux ni inquiet tant que j'existe. »
Le jeu des oies
Lundi 21 mars.
Tout demeura inchangé dans la forêt à peu près le temps qu'il faut à une bande d'oies pour prendre son petit déjeuner, mais au moment où l'on passait du lever du soleil à la matinée, on vit sous l'épaisse voûte de branches arriver une oie sauvage solitaire. Peu sûre d'elle, volant très lentement, elle cherchait son chemin entre les troncs. Dès que Smirre le renard l'aperçut, il quitta son poste sous le jeune hêtre et se glissa vers elle. L'oie sauvage n'évita pas le renard mais continua de voler pratiquement à sa portée. Smirre fit un grand bond vers elle mais il la rata, et l'oie continua son vol vers le lac.
Il n'attendit pas longtemps avant de voir arriver une autre oie sauvage. Elle suivait le même chemin que la première et volait encore plus bas et plus lentement. Elle aussi passa tout près de Smirre le renard, et il bondit si haut derrière elle que ses oreilles frôlèrent les pattes de l'oie, mais celle-ci lui échappa saine et sauve et continua, aussi silencieuse qu'une ombre, son chemin en direction du lac.
Un petit moment passa, et de nouveau apparut une oie sauvage. Elle volait encore plus bas et plus lentement, semblait progresser encore plus difficilement entre les troncs des hêtres. Smirre fit un bond fantastique, et il s'en fallut d'un cheveu qu'il l'attrapât, et cette troisième oie elle aussi se sauva.
Peu après sa disparition, une quatrième oie sauvage se présenta.
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