Il arriva furtivement et se posta contre le mur, à quelques pas de la bande de lumière la plus claire.

Ils attendirent ainsi un bon moment dans la froide nuit de mars, et la vieille songeait à rentrer quand elle entendit un bruit de pas sur les pavés et vit ce gamin de tomte qui revenait. Tout comme auparavant, il portait un fardeau dans chaque main, et ce qu'il portait piaillait et gigotait. Et soudain la vieille femme comprit tout. Elle comprit que le tomte avait couru dans la coudraie pour ramener à l'écureuille ses petits qui sans elle mourraient de faim.

La vieille femme resta immobile pour ne pas le déranger, et tout indiquait que le tomte ne l'avait pas remarquée. Au moment où il allait poser par terre l'un des petits pour pouvoir grimper jusqu'à la cage avec l'autre, il vit les yeux du chat qui brillaient juste devant lui. Et il se figea, désemparé, un petit dans chaque main.

Puis il se retourna, regarda dans tous les sens, et découvrit la vieille femme. Alors, sans hésiter, il s'approcha d'elle et lui tendit l'un des petits écureuils. Et la vieille femme ne voulut pas se montrer indigne de cette confiance, elle se pencha, prit le petit écureuil et le garda le temps qu'il fallut au tomte pour amener l'autre à la cage, puis revenir chercher celui qu'il lui avait confié.

Le lendemain matin, quand les gens de la ferme se retrouvèrent pour le petit déjeuner, la vieille femme ne put s'empêcher de raconter ce qu'elle avait vu la nuit passée. Et tous se moquèrent d'elle et lui dirent qu'elle n'avait fait que rêver. Que les écureuils n'avaient pas de petits si tôt dans l'année.

Mais elle n'en démordit pas et leur demanda d'aller voir dans la cage de l'écureuille, ce qu'ils firent. Et là, sur la litière de feuilles dans la chambre, ils virent quatre petits pratiquement sans poils et à moitié aveugles, âgés peut-être de deux ou trois jours seulement.

Quand le maître des lieux vit les petits, il dit : « Que cette histoire soit vraie ou fausse, une chose est certaine, c'est que nous tous ici, tant que nous sommes, nous nous sommes comportés de telle manière que nous devrions avoir honte autant devant les animaux que devant les hommes. » Sur ce, il sortit l'écureuille et tous ses petits de la cage et les déposa dans le tablier de la vieille femme.

— Porte-les dans la coudraie, dit-il, et rends-leur la liberté !

Tel fut l'événement dont on parla tant et que les journaux même relatèrent, mais que la plupart des gens refusèrent de croire, faute de pouvoir expliquer comment une telle chose avait pu se produire.

Vittskövle

Samedi 26 mars.

Quelques jours plus tard eut lieu un autre événement étrange. Un matin, une bande d'oies sauvages se posa dans un champ à l'est de la Scanie, non loin de la grande ferme de Vittskövle9. La bande était composée de treize oies de la couleur habituelle et d'un jars blanc qui sur son dos portait un petit bonhomme vêtu d'une culotte de cuir jaune, d'un gilet vert et d'un bonnet blanc.

Elles se trouvaient maintenant très près de la mer Baltique et, dans le champ où elles s'étaient posées, la terre était sablonneuse comme souvent le long du littoral. Il y avait certainement eu là autrefois des dunes mouvantes que l'homme avait dû fixer car en plusieurs endroits on voyait de grandes plantations de pins.

Les oies broutaient depuis un moment déjà lorsque des enfants vinrent en bordure du champ. L'oie qui montait la garde s'élança immédiatement dans l'air en faisant claquer ses ailes pour avertir toute la bande de l'imminence d'un danger. Toutes les oies s'envolèrent, mais le blanc resta tranquillement par terre. Voyant les autres s'enfuir, il leva la tête et leur cri.a : « Ce n'est pas la peine de vous enfuir pour ceux-là. Ce ne sont que des enfants. »

Le petit gamin à qui il avait servi de monture restait assis à la lisière de la forêt et décortiquait une pomme de pin pour en extraire les pignes. Les enfants étaient si près de lui qu'il n'osa pas traverser le champ pour rejoindre le blanc. Sans tarder, il se cacha sous une grande feuille sèche de chardon tout en lançant un cri d'avertissement.

Mais visiblement le blanc n'était pas décidé à se laisser effrayer. Il déambulait toujours dans le champ, sans s'occuper de la direction que prenaient les enfants.

Or ceux-ci quittèrent la route, traversèrent le champ et s'approchèrent du jars. Quand enfin il leva les yeux, ils étaient tout près de lui et il en fut si consterné et troublé qu'il oublia qu'il savait voler, et il courut pour s'éloigner d'eux. Les enfants le suivirent, le firent tomber dans un fossé et s'empressèrent de l'attraper. Le plus grand le coinça sous son bras et l'emporta.

Quand le gamin caché sous la feuille de chardon vit cela, il se redressa d'un bond, comme s'il avait voulu enlever le jars aux enfants. Mais il dut soudain se souvenir de la petitesse de sa taille et, impuissant, il se jeta dans l'herbe et cogna furieusement le sol à coups de poings.

Le jars appelait à l'aide de toutes ses forces : « Poucet, viens m'aider ! Poucet, viens m'aider ! » Mais, en l'entendant, le garçon, malgré son angoisse, se mit à rire. « Eh oui, dit-il, comme si je pouvais venir en aide à quelqu'un ! »

Néanmoins, il se releva et suivit le jars. « Je suis incapable de l'aider, se dit-il. Mais je veux au moins voir ce qu'ils vont faire de lui. »

Les enfants avaient beaucoup d'avance mais le garçon n'eut aucune peine à les garder en vue jusqu'à ce qu'il arrivât devant une dépression du sol au fond de laquelle tourbillonnait un ruisseau printanier. Un ruisseau ni large ni impétueux mais qu'il dut quand même longer en courant avant de trouver un endroit où il put le franchir.

Remonté sur le talus, il constata que les enfants avaient disparu. Il put cependant voir leurs traces sur un étroit sentier qui menait dans la forêt, et il continua de les suivre.

Puis il arriva à un carrefour, où les enfants avaient dû se séparer puisqu'il vit des traces partir dans deux directions.