Alors le marmot eut l'air complètement désespéré.
Mais au même moment il aperçut sur une touffe de bruyère un petit duvet blanc, et il comprit que le jars l'avait jeté sur le bord du sentier pour lui indiquer de quel côté on l'emportait, et le garçon continua donc son chemin. Il suivit ainsi les enfants à travers toute la forêt. Pas une seule fois il ne vit le jars mais, à chaque endroit où il aurait pu se tromper de chemin, un petit duvet blanc lui indiquait la direction.
Le garçon continua ainsi de suivre attentivement les duvets. Ils le conduisirent hors de la forêt, au-delà de quelques champs, sur une route puis, pour finir, dans l'allée menant à un manoir et au bout de laquelle on apercevait des pignons et des tours en brique rouge décorées de lignes claires et d'ornements. Quand le marmot vit le manoir, il crut comprendre ce qui était arrivé au jars. « Sans nul doute, les enfants ont amené le jars au manoir pour le vendre, et dans ce cas il est probablement déjà mort », se dit-il. Mais il ne semblait pas vouloir se contenter d'une supposition et il courut avec plus d'ardeur qu'auparavant. Il ne rencontra personne dans l'allée, fort heureusement d'ailleurs puisque son espèce craint habituellement d'être surprise par les hommes.
Le manoir où il arriva était une solide construction à l'ancienne composée de quatre bâtiments qui encerclaient une cour d'honneur ouverte sur le côté est. Le garçon courut sans hésitation vers le porche mais s'arrêta là, n'osant s'aventurer plus loin. Il resta ainsi planté, réfléchissant à ce qu'il devait faire.
Il réfléchissait encore, le doigt posé sur le nez, quand il entendit des pas derrière lui et, lorsqu'il se retourna, il vit un groupe de gens qui remontait l'allée. En toute hâte, il se faufila derrière un tonneau d'eau posé à côté du porche et y resta caché.
Les arrivants étaient une vingtaine de jeunes gens d'une école populaire supérieure en excursion10. Un professeur les accompagnait et, lorsqu'ils furent arrivés au porche, il les pria d'attendre tandis qu'il entrait demander l'autorisation de visiter le vieux château de Vittskövle.
Les nouveaux arrivants avaient chaud et semblaient éprouver la fatigue d'une longue marche. L'un d'eux avait si soif qu'il s'approcha du tonneau et se pencha pour boire. Une boîte à herboriser pendait sur son épaule et il la trouvait sans doute gênante car il la jeta par terre. Dans la chute, le couvercle s'ouvrit et l'on put voir à l'intérieur quelques fleurs printanières.
La boîte tomba juste devant le marmot, et celui-ci dut penser que se présentait ainsi à lui une merveilleuse occasion d'entrer dans le château et de savoir ce qu'il était advenu du jars. Il se glissa prestement dans la boîte et se dissimula au mieux sous les renoncules et les tussilages.
À peine était-il caché que le jeune homme ramassa la boîte, la suspendit sur son épaule et referma le couvercle.
Le professeur revenait maintenant, pour leur dire qu'ils avaient l'autorisation d'entrer dans le château. Ils pénétrèrent donc dans la cour d'honneur où, tout de suite, il s'arrêta pour leur parler du vieux bâtiment.
Il leur rappela que les premiers habitants de ce pays devaient s'abriter dans des grottes et des terriers, sous des tentes en peaux de bêtes et des huttes de branchage, et qu'il leur avait fallu longtemps pour imaginer construire des maisons à partir de troncs d'arbres. Et combien de temps ne leur avait-il pas fallu travailler et peiner ensuite avant de savoir passer, de la cabane en bois d'une seule pièce, à la construction d'un château avec cent pièces tel que Vittskövle !
Trois siècles plus tôt, les riches et les puissants se construisaient de tels châteaux, continua-t-il. Et l'on voyait aisément que Vittskôvle avait été construit à une époque où la guerre et les brigands rendaient la vie peu sûre en Scanie. Tout autour était creusée une douve remplie d'eau au-dessus de laquelle passait un pont qu'autrefois on pouvait relever. Au-dessus du porche on voyait encore aujourd'hui une tour de guet, au long des flancs couraient des passerelles de garde et aux angles se dressaient des tours aux murs d'un mètre d'épaisseur. Pourtant, ce château n'avait pas été construit aux pires moments de la guerre et Jens Brahe, son architecte, s'était aussi efforcé d'en faire une demeure proprette et richement décorée. S'ils voyaient un jour la grande et imposante bâtisse de Glimminge, construite seulement une génération plus tôt, ils remarqueraient sans peine que Jens Holgersen Ulfstrand, son bâtisseur, n'avait eu pour unique souci que de construire grand, solide et fort, sans accorder une seule pensée à la beauté ou au confort. Si, par contre, ils voyaient des châteaux tels que Marsvinsholm, Svenstorp ou Övedskloster, construits un siècle ou deux après Vittskövle, ils comprendraient que les temps étaient devenus plus pacifiques. Les seigneurs qui avaient fait construire ces lieux ne les avaient pas pourvus de fortifications mais les avaient conçus uniquement comme des habitations vastes et solides.
Le professeur parla longuement et avec force détails, et le marmot enfermé dans la boîte à herboriser commençait à s'impatienter. Mais il sut rester tranquille, puisque le propriétaire de la boîte ne remarqua pas un seul instant qu'il le transportait.
Le groupe finit quand même par entrer dans le château, mais si le marmot avait espéré trouver une occasion de sortir de la boîte, il s'était trompé car l'élève ne s'en sépara pas et le marmot dut l'accompagner à travers toutes les pièces.
La marche était lente. Le professeur s'arrêtait sans cesse pour expliquer et enseigner.
Une des pièces était dotée d'une large cheminée et le professeur s'arrêta devant pour parler des différents foyers que les hommes avaient utilisés au cours des siècles. Le premier foyer intérieur aux maisons était fait sur une dalle placée par terre au centre de l'unique pièce, avec dans le toit une ouverture pour la fumée qui laissait pénétrer aussi bien la pluie que le vent, puis avait été imaginé un large fourneau maçonné sans cheminée, qui certes chauffait bien la pièce mais l'emplissait aussi de fumée et de suie. À l'époque de la construction de Vittskövle, les hommes venaient juste de concevoir la cheminée à foyer ouvert, qui possédait un conduit pour la fumée mais laissait aussi échapper en l'air une grande partie de la chaleur.
Et le marmot qui un jour avait été emporté et impatient reçut ce jour-là une bonne leçon de patience. Car cela faisait bien une heure maintenant qu'il demeurait immobile.
Dans la pièce suivante, le professeur s'arrêta devant un ancien lit à baldaquin somptueux.
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