En cherchant bien, il se souviendrait maintenant de chaque mot.
— Le Småland est une maison haute avec des sapins sur le toit, dit l'instituteur, et devant elle s'étend un large escalier fait de trois marches, et cet escalier s'appelle le Blekinge.
Les proportions de cet escalier sont parfaites. Il s'étend sur quatre-vingts kilomètres le long de la façade de la maison du Smâland et quiconque veut descendre cet escalier pour rejoindre la mer Baltique devra parcourir quarante kilomètres.
Il est vieux, cet escalier. Des jours et des années ont passé depuis que ses marches de pierre grise furent taillées et disposées en bandes lisses et régulières.
On comprend, compte tenu de son âge, que cet escalier ne soit plus tout neuf. Je ne sais si les gens de l'époque se préoccupaient de ces choses mais, vu sa taille, aucun balai n'aurait été capable de le maintenir propre. Des mousses et des lichens poussèrent sur ses pierres, de l'herbe sèche et des feuilles s'y accumulèrent pendant l'automne et, au printemps, il fut recouvert d'éboulis de pierres et de gravier. Et, tout ceci demeurant sur place à se décomposer, une telle quantité d'humus finit ainsi par s'accumuler que non seulement des plantes et des herbes mais aussi des buissons et de grands arbres vinrent s'y enraciner.
En même temps, la différence s'accentua entre les trois marches. La marche supérieure, proche du Smâland, est en grande partie recouverte de terre pauvre et de petits cailloux, et seuls le bouleau, le merisier et le sapin y poussent puisqu'ils supportent le froid des hauteurs et se contentent de peu. On comprend la pauvreté et l'aridité de ces régions rien qu'en voyant la taille réduite des champs gagnés sur la forêt, la petitesse des maisons et les distances qu'il y a entre les églises.
La meilleure marche est la marche intermédiaire, qui ne doit pas subir les froids rigoureux des hauteurs ; on le comprend aisément en voyant les arbres, plus grands et d'espèces plus nobles. Là poussent les érables, les chênes et les tilleuls, les bouleaux-pleureurs et les noisetiers, mais aucun conifère. Et on le remarque encore plus en voyant les grandes et belles maisons que les gens se sont construites. Les églises sont nombreuses sur cette marche intermédiaire, et de grands villages les entourent.
Puis, de même que l'intermédiaire est plus belle que la marche supérieure, la plus basse est encore meilleure. Couverte d'un humus riche, elle se baigne dans la mer et ne ressent pas les froids du Smâland. Ici, en bas, se plaisent les hêtres, les châtaigniers et les noyers et qui poussent si haut qu'ils dépassent le toit des églises. Les champs les plus étendus sont là aussi mais les gens ne vivent pas que de l'agriculture et de la forêt, ils pêchent aussi et sont navigateurs. Voilà pourquoi on rencontre ici les plus riches demeures et les plus belles églises, et pourquoi les villages entourant les églises sont devenus des bourgs et des villes.
Mais tout n'a pas été raconté sur ces trois marches. Car il faut se dire que lorsqu'il pleut sur le toit de la grande maison du Smâland, que la neige y fond, l'eau doit bien s'écouler quelque part. Une partie s'écoule évidemment par le grand escalier. Au début, elle coulait probablement sur toute sa largeur, mais des fissures se sont creusées dedans et, petit à petit, l'eau s'est contentée de suivre des sillons bien tracés. Et l'eau reste de l'eau, quoi qu'on fasse. Elle ne connaît pas de repos. Ici elle creuse et lime et rabote, là elle ajoute. Elle a élargi les sillons en vallées, a recouvert les coteaux d'humus et, sur ces coteaux, des buissons, des plantes rampantes et des arbres se sont accrochés si abondamment qu'ils dissimulent presque les eaux qui coulent dans le fond. Mais quand les torrents arrivent en bordure des marches, ils doivent se jeter la tête la première, et l'eau acquiert ainsi une telle vitesse qu'elle a la force d'actionner des roues de moulins et des machines, qui les uns et les autres se sont multipliés au long de tous les torrents.
Pourtant, tout n'est pas dit encore sur le pays des trois marches. Il faut savoir que dans la maison du Smâland vivait autrefois un géant. Devenu très vieux, ce géant maudissait son âge qui l'obligeait à emprunter l'escalier pour aller pêcher le saumon dans la mer. Il aurait préféré que le saumon remontât chez lui.
Il grimpa donc sur le toit de sa grande maison et se mit à lancer de grosses pierres dans la mer Baltique. Il les lança si fort qu'elles traversèrent tout le Blekinge et tombèrent dans la mer. Alors, effrayé par ces chutes de pierres, le saumon sortit de la mer, s'enfuit en remontant les fleuves et les torrents du Blekinge, fit d'énormes bonds pour franchir les chutes et ne s'arrêta qu'une fois arrivé loin à l'intérieur du Smâland, là où vivait le vieux géant.
Les nombreuses îles et écueils disséminés sur la côte du Blekinge prouvent que l'histoire est vraie. Ils ne sont rien d'autre que les grosses pierres lancées par le géant.
Une autre preuve de cette vérité, c'est qu'aujourd'hui encore le saumon remonte les fleuves du Blekinge et, par les torrents et les eaux calmes, se fraie un chemin jusqu'au Småland
Oui, ce géant mérite les remerciements chaleureux des habitants du Blekinge, car la pêche au saumon et la taille des pierres dans l'archipel sont deux activités qui aujourd'hui encore nourrissent nombre d'entre eux.
VIII
AU BORD DE LA RIVIÈRE DE RONNEBY
Vendredi 1er avril.
En quittant la Scanie, ni les oies sauvages ni Smirre le renard n'auraient imaginé qu'ils se rencontreraient à nouveau. Or, les oies sauvages, en choisissant de passer par le Blekinge, se rendaient justement là où s'était enfui Smirre.
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