Il passa devant l'église et se dit qu'elle avait été construite par des hommes, qui désiraient s'y rendre pour y entendre parler d'un monde existant au-delà de celui dans lequel ils vivaient, de Dieu et de la résurrection et d'une vie éternelle. Et plus il parcourait ce village plus il aimait les hommes.
Le propre des enfants est de ne pas réfléchir plus loin que le bout de leur nez. Ils désirent ce qui se trouve à leur portée sans se soucier de ce que cela peut leur coûter. Nils Holgersson n'avait pas réfléchi à ce qu'il perdait en choisissant de rester tomte, et maintenant il se sentait terrorisé par l'idée de ne plus jamais pouvoir retrouver sa véritable nature.
Comment faire pour redevenir homme ? Il aurait aimé le savoir.
Il monta les marches d'un escalier et s'assit sous la pluie battante pour réfléchir. Une heure, deux heures, il resta assis là à réfléchir si profondément qu'une ride se creusa sur son front. Mais il n'en fut pas plus avancé. C'était comme si les pensées n'avaient fait que se bousculer dans sa tête. Plus il réfléchissait et plus la solution paraissait impossible.
« Ce doit être trop difficile pour quelqu'un qui a appris aussi peu de choses que moi », pensa-t-il finalement. « Il faudra qu'un jour je me décide à retourner chez les hommes. Et je demanderai au prêtre, au docteur et à l'instituteur et à tous ceux qui ont de l'instruction et qui doivent connaître le remède contre ce genre de choses. »
Oui, il décida même de le faire sans tarder. Il se leva, se secoua car il était mouillé comme un chien qui vient de traverser une flaque d'eau.
Au même moment, il vit arriver en volant un gros hibou qui alla se poser dans un des arbres qui bordaient la rue du village. Tout de suite après, une hulotte, perchée sous la corniche, se mit à remuer et cria : a Kivitt, kivitt, tu es rentré hibou ? Comment était-ce à l'étranger ? »
— Merci à toi, hulotte ! C'était bien, dit le hibou brachyote. Rien de spécial, pendant mon absence ?
— Pas ici, en Blekinge, hibou, mais si je te disais qu'en Scanie un garçon a été transformé par un tomte et rendu aussi petit qu'un écureuil avant de s'en aller pour la Laponie sur le dos d'une oie domestique ?
— En voilà une nouvelle étonnante, une nouvelle étonnante. Ne pourra-t-il donc jamais retrouver sa forme humaine ? Jamais redevenir homme ?
— C'est un secret, hibou, mais je te l'apprendrai quand même. Le tomte a dit que si le garçon veillait sur le jars domestique et le ramenait sain et sauf à la ferme, il...
— Raconte, hulotte ! Raconte !
— Suis-moi jusqu'au clocher, hibou, et tu sauras tout ! J'ai peur que quelqu'un nous entende ici dans la rue du village.
Là-dessus, les oiseaux de nuit s'envolèrent, mais le garçon, lui, lança son bonnet en l'air. « Si je veille sur le jars et le ramène sain et sauf à la maison, je redeviendrai humain. Youpi ! Youpi ! Je redeviendrai humain ! »
Et il cria si fort qu'on peut s'étonner que personne ne l'entendît dans les maisons, mais ce fut pourtant le cas. Quant à lui, aussi vite que ses jambes le lui permettaient, il courut rejoindre les oies sauvages dans le marécage.
VII
L'ESCALIER AUX TROIS MARCHES
Jeudi 31 mars.
Pour le lendemain, les oies sauvages avaient prévu de remonter vers le nord en traversant le canton d'Allbo, dans le Smâland. Elles envoyèrent Yksi et Kaksi en reconnaissance mais celles-ci revinrent pour dire que les eaux étaient gelées et la terre partout couverte de neige.
— Dans ce cas, nous pouvons tout aussi bien rester là où nous sommes, dirent les oies sauvages. Nous ne pouvons pas survoler des régions sans eau ni pâturages.
— Si nous demeurons ici, ce sera peut-être pour une lunaison entière, leur répliqua Akka. Mieux vaut partir vers l'est à travers le Blekinge et tenter ensuite de traverser le Smâland par le canton de Möre où le printemps est précoce puisque c'est en bordure de mer.
De ce fait, le lendemain, le garçon parcourut le Blekinge. Le jour aidant, il avait retrouvé son humeur habituelle et n'arrivait pas à comprendre ce qui lui avait pris la veille au soir. Plus question aujourd'hui d'abandonner le voyage et la vie sauvage !
Un épais brouillard dû à la pluie recouvrait le Blekinge et le garçon n'y voyait rien. « Je me demande si la contrée que je survole est bonne ou mauvaise », pensa-t-il en recherchant dans sa mémoire ce qu'il avait pu apprendre à l'école sur la province. Mais en même temps il savait que ce serait vain puisque jamais il n'avait fait ses devoirs.
Et brusquement le garçon revit l'école, les enfants assis à leurs pupitres qui tendaient la main, l'instituteur l'air fâché derrière son bureau, et lui-même debout devant la carte, prié de répondre à une question sur le Blekinge mais incapable de dire un mot. À chaque seconde, le visage de l'instituteur devenait plus sombre et le garçon se disait que l'instituteur était plus exigeant pour la géographie que pour toute autre matière. Maintenant il quittait son bureau, reprenait la baguette de la main du garçon et le renvoyait à sa place. « Ça va mal finir », pensa alors le garçon.
Mais l'instituteur s'approcha d'une fenêtre et y resta un moment à regarder dehors en sifflotant doucement. Puis il regagna son bureau et dit qu'il allait leur parler du Blekinge. Et ce qu'il avait raconté ce jour-là était si drôle que le garçon avait écouté.
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