Je le dis. Et je le dis avec une grande chaleur de sincérité, car je comprenais à présent que le professeur avait été fort injustement traité. Il m’écouta en se calant le dos dans son fauteuil ; il avait à demi baissé ses paupières, et un sourire tolérant flottait sur ses lèvres ; un rayon de soleil imprévu se posa sur lui.
« C’est la chose la plus sensationnelle dont j’aie jamais entendu parler ! dis-je.
Pour être tout à fait franc, je conviens que mon enthousiasme professionnel de journaliste était plus fort que mon enthousiasme de savant amateur. Je poursuivis :
« C’est colossal ! Vous êtes le Christophe Colomb de la science ! Vous avez découvert un monde perdu ! Réellement, je suis désolé de vous avoir donné l’impression que j’étais sceptique. Mais c’était tellement incroyable ! Tout de même, je suis capable de comprendre une preuve quand je la vois, et je ne dois pas être le seul au monde !
Le professeur ronronna de satisfaction.
« Mais ensuite, monsieur, qu’avez-vous fait ?
– C’était la saison des pluies, monsieur Malone, et mes provisions étaient épuisées. J’ai exploré une partie de cette falaise énorme, mais je n’ai trouvé aucun moyen de l’escalader. Le piton pyramidal sur lequel j’avais vu et abattu le ptérodactyle était absolument inaccessible. Comme j’ai fait beaucoup d’alpinisme, je suis cependant parvenu à mi-hauteur ; de là j’ai eu une vue plus précise du plateau qui s’étend au sommet de l’escarpement ; il m’a paru immense : ni vers l’est ni vers l’ouest je n’ai pu apercevoir la fin de cette ligne coiffée de verdure. Au-dessous, c’est une région marécageuse, une jungle pleine de serpents, d’insectes, de fièvres, une ceinture de protection naturelle pour ce singulier pays.
– Avez-vous discerné d’autres vestiges de vie ?
– Non, monsieur, je n’en ai vu aucun autre. Mais tout au long de la semaine où nous avons campé à la base de ce plateau, nous avons entendu au-dessus de nos têtes des bruits très étranges.
– Mais cette créature dessinée par l’Américain ? Comment l’expliquez-vous ?
– Nous pouvons seulement supposer qu’il a dû arriver au sommet et qu’il l’a vue là-haut. Il doit donc y avoir une route, un moyen d’accès, certainement un accès très difficile, car autrement ces animaux descendraient et envahiraient le pays environnant. Est-ce assez clair ?
– Mais comment seraient-ils parvenus là-haut ?
– Je ne crois pas que ce soit là un problème insoluble, répondit le professeur. Selon moi, l’explication est celle-ci : l’Amérique du Sud est, on vous l’a peut-être appris, un continent de formation granitique. À cet endroit précis, à l’intérieur, il y a eu, autrefois, une grande et soudaine éruption volcanique. Ces escarpements, comme je l’ai observé, sont basaltiques, donc plutoniens. Une surface, peut-être aussi étendue que le Sussex, a été surélevée en bloc avec tout ce qu’elle contenait par des précipices perpendiculaires dont la solidité défie l’érosion. Quel en a été le résultat ? Hé bien ! les lois ordinaires de la nature se sont trouvées suspendues. Les divers freins qui influent sur la lutte pour la vie dans le monde sont là-haut neutralisés ou modifiés. Des créatures survivent, alors qu’ailleurs elles auraient disparu. Vous remarquerez que le ptérodactyle autant que le stégosaure remontent à l’époque jurassique, et sont, par conséquent, fort anciens dans l’ordre de la vie. Ils ont été artificiellement conservés par d’étranges circonstances.
– Mais naturellement ! m’écriai-je. Votre thèse est concluante. Il ne vous reste plus qu’à la soumettre aux autorités compétentes !
– C’est ce que, dans ma simplicité, je m’étais imaginé, soupira, non sans amertume, le professeur. Mais les choses ne tardèrent pas à se gâter : à chaque tournant, j’étais guetté par un scepticisme, dicté par la stupidité, et aussi par la jalousie. Il n’est pas dans ma nature, monsieur, de m’aplatir devant un homme quel qu’il soit ni de chercher à prouver un fait si ma parole est mise en doute. Aussi ai-je dédaigné de faire état des preuves corroboratives que je possède. Le sujet m’est même devenu odieux, je ne voulais plus en parler. Quand des gens de votre espèce, qui représentent la folle curiosité du public, viennent troubler ma discrétion, il m’est impossible de les accueillir avec une réserve digne. Par tempérament je suis, je l’admets, un peu passionné, et toute provocation déchaîne ma violence. Je crains que vous ne vous en soyez aperçu.
Je baissai les yeux et ne dis rien.
« Ma femme m’a souvent querellé à ce sujet, et pourtant je crois que tout homme d’honneur réagirait comme moi.
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