Le Monde perdu

Le Monde perdu
Arthur Conan Doyle
Publication: 1912
Catégorie(s): Fiction, Action & Aventure, Science
Fiction
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Doyle:
Sir Arthur Ignatius Conan Doyle, DL (22 May 1859 – 7 July 1930)
was a Scottish author most noted for his stories about the
detective Sherlock Holmes, which are generally considered a major
innovation in the field of crime fiction, and the adventures of
Professor Challenger. He was a prolific writer whose other works
include science fiction stories, historical novels, plays and
romances, poetry, and non-fiction. Conan was originally a given
name, but Doyle used it as part of his surname in his later years.
Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Doyle:
Les Aventures de
Sherlock Holmes (1892)
Le Chien des
Baskerville (1902)
Les Mémoires de
Sherlock Holmes (1893)
Les Archives de
Sherlock Holmes (1927)
La Vallée de la
peur (1915)
Le Retour de
Sherlock Holmes (1904)
Le Signe des
quatre (1890)
Une Étude en
rouge (1887)
Son Dernier Coup
d’Archet (1917)
Sherlock
Holmes (1899)
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Chapitre 1
Tout autour de nous, des héroïsmes…
M. Hungerton, son père, n’avait pas de
rival sur la terre pour le manque de tact. Imaginez un cacatoès
duveteux, plumeux, malpropre, aimable certes, mais qui aurait
centré le monde sur sa sotte personne. Si quelque chose avait pu
m’éloigner de Gladys, ç’aurait été la perspective d’un pareil
beau-père. Trois jours par semaine je venais aux Chesnuts, et il
croyait dans le fond de son cœur que j’y étais attiré uniquement
par le plaisir de sa société, surtout pour l’entendre discourir sur
le bimétallisme ; il traitait ce sujet avec une autorité
croissante.
Un soir, j’écoutais depuis plus d’une heure
son ramage monotone : la mauvaise monnaie qui chasse la bonne,
la valeur symbolique de l’argent, la dépréciation de la roupie, ce
qu’il appelait le vrai taux des changes, tout y passait.
– Supposez, s’écria-t-il soudain avec une
véhémence contenue, que l’on batte partout le rappel simultané de
toutes les dettes, et que soit exigé leur remboursement immédiat.
Étant donné notre situation présente, que se
produirait-il ?
J’eus le malheur de lui répondre par une
vérité d’évidence : à savoir que je serais ruiné. Sur quoi il
bondit de son fauteuil et me reprocha ma perpétuelle légèreté qui,
dit-il, « rendait impossible toute discussion sérieuse ».
Claquant la porte, il quitta la pièce ; d’ailleurs il avait à
s’habiller pour une réunion maçonnique.
Enfin je me trouvais seul avec Gladys. Le
moment fatal était arrivé ! Toute cette soirée j’avais éprouvé
les sentiments alternés d’espoir et d’horreur du soldat qui attend
le signal de l’attaque.
Elle était assise : son profil, fier,
délicat, se détachait avec noblesse sur le rideau rouge. Qu’elle
était belle ! Belle, mais inaccessible aussi, hélas !
Nous étions amis, très bons amis ; toutefois, je n’avais pu me
hasarder avec elle au-delà d’une camaraderie comparable à celle qui
m’aurait lié tout aussi bien avec l’un de mes confrères reporters à
la Daily Gazette : une camaraderie parfaitement
sincère, parfaitement amicale, parfaitement asexuée… Il est exact
que tous mes instincts se hérissent devant les femmes qui se
montrent trop sincères, trop aimables : de tels excès ne
plaident jamais en faveur de l’homme qui en est l’objet. Lorsque
s’ébauche d’un sexe à l’autre un vrai sentiment, la timidité et la
réserve lui font cortège, par réaction contre la perverse Antiquité
où l’amour allait trop souvent de pair avec la violence. Une tête
baissée, le regard qui se détourne, la voix qui se meurt, des
tressaillements, voilà les signes évidents d’une passion ! Et
non des yeux hardis, ou un bavardage impudent. Je n’avais pas
encore beaucoup vécu, mais cela je l’avais appris… à moins que je
ne l’eusse hérité de cette mémoire de la race que nous appelons
instinct.
Toutes les qualités de la femme
s’épanouissaient en Gladys. Certains la jugeaient froide et dure,
mais c’était trahison pure. Cette peau délicatement bronzée au
teint presque oriental, ces cheveux noirs et brillants, ces grands
yeux humides, ces lèvres charnues mais raffinées réunissaient tous
les signes extérieurs d’un tempérament passionné. Pourtant,
jusqu’ici j’avais été incapable de l’émouvoir. N’importe, quoi
qu’il pût advenir, ce soir même j’irais jusqu’au bout ! Finies
les hésitations ! Après tout, elle ne pourrait faire pis que
de refuser ; et mieux valait être un amoureux éconduit qu’un
frère agréé.
Mes pensées m’avaient conduit jusque-là, et
j’allais rompre un silence long et pénible quand deux yeux noirs
sévères me fixèrent, je vis alors le fier visage que j’aimais se
contracter sous l’effet d’une réprobation souriante.
– Je crois deviner ce que vous êtes sur le
point de me proposer, Ned, me dit-elle. Je souhaite que vous n’en
fassiez rien, car l’actuel état de choses me plaît davantage.
J’approchai ma chaise.
– Voyons, comment savez-vous ce que j’étais
sur le point de vous proposer ? demandai-je avec une
admiration naïve.
– Comme si les femmes ne savaient pas
toujours ! Une femme se laisse-t-elle jamais prendre au
dépourvu ? Mais, Ned, notre amitié a été si bonne et si
agréable ! Ce serait tellement dommage de la gâcher ! Ne
trouvez-vous pas merveilleux qu’un jeune homme et une jeune fille
puissent se parler aussi librement que nous l’avons fait ?
– Peut-être, Gladys. Mais, vous comprenez, je
peux parler très librement aussi avec… avec un chef de
gare !
Je me demande encore pourquoi cet honorable
fonctionnaire s’introduisit dans notre débat, mais son immixtion
provoqua un double éclat de rire.
– Et cela ne me satisfait pas le moins du
monde, repris-je. Je veux mes bras autour de vous, votre tête sur
ma poitrine et, Gladys, je veux…
Comme elle vit que j’allais passer à la
démonstration de quelques-uns de mes vœux, elle se leva de sa
chaise.
– Vous avez tout gâché, Ned ! me
dit-elle. Tant que cette sorte de chose n’intervient pas, tout est
si beau, si normal !… Quel malheur ! Pourquoi ne
pouvez-vous pas garder votre sang-froid ?
– Cette sorte de chose, ce n’est pas moi qui
l’ai inventée ! argumentai-je. C’est la nature. C’est
l’amour.
– Hé bien ! si nous nous aimions tous
deux, ce serait différent. Mais je n’ai jamais aimé !
– Mais vous devez aimer ! Vous, avec
votre beauté, avec votre âme !… Gladys, vous êtes faite pour
l’amour ! Vous devez aimer !
– Encore faut-il attendre que l’amour
vienne…
– Mais pourquoi ne pouvez-vous pas m’aimer,
Gladys ? Est-ce ma figure qui vous déplaît, ou quoi ?
Elle se contracta un peu. Elle étendit la main
(dans quel gracieux mouvement !…) et l’appuya sur ma nuque
pour contempler avec un sourire pensif le visage que je levais
anxieusement vers elle.
– Non, ce n’est pas cela, dit-elle enfin. Vous
n’êtes pas naturellement vaniteux : aussi puis-je vous
certifier en toute sécurité que ce n’est pas cela. C’est… plus
profond !
– Alors, mon caractère ?
Elle secoua la tête sévèrement,
affirmativement.
– Que puis-je faire, repris-je, pour le
corriger ? Asseyez-vous, et parlons. Non, réellement, je me
tiendrai tranquille si seulement vous vous asseyez.
Elle me regarda avec une surprenante défiance
qui me transperça le cœur. Ah ! plût au Ciel qu’elle fût
restée sur le ton de la confidence ! (Que tout cela paraît
grossier, bestial même, quand on l’écrit noir sur blanc ! Mais
peut-être est-ce là un sentiment qui m’est personnel ?…).
Finalement, elle s’assit.
– Maintenant, dites-moi ce qui ne vous plaît
pas en moi.
– Je suis amoureuse de quelqu’un d’autre, me
répondit-elle.
À mon tour, je sautai de ma chaise.
– De personne en particulier,
m’expliqua-t-elle en riant du désarroi qu’elle lut sur ma
physionomie. Seulement d’un idéal. Je n’ai jamais rencontré l’homme
qui pourrait personnifier cet idéal.
– Dites-moi à qui il ressemble.
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