Finsbury.

« P. S. – N’oubliez pas de laisser le baril dans le vestibule ! »

 

– Non, dit Gédéon, je ne vois rien là qui se rapporte au monument ! – Et, en disant cela, il désignait les jambes de marbre. – Miss Hazeltine, poursuivit-il, me permettez-vous de vous adresser quelques questions ?

– Mais volontiers ! répondit la jeune fille. Et si vous réussissez à m’expliquer pourquoi Maurice m’a envoyé une statue d’Hercule au lieu d’un baril contenant des « échantillons pour un ami », je vous en serai reconnaissante jusqu’à mon dernier jour. Mais, d’abord, qu’est-ce que cela peut être, « des échantillons pour un ami » ?

– Je n’en ai pas la moindre idée ! dit Gédéon. Je sais bien que les marbriers envoient souvent des échantillons ; mais je crois que, en général, ce sont des morceaux de marbre plus petits que notre ami le monument. Au reste, mes questions portent sur d’autres sujets. En premier lieu, est-ce que vous êtes tout à fait seule, dans cette maison ?

– Oui, pour le moment ! répondit Julia. Je suis arrivée avant-hier pour mettre la maison en état et pour chercher une cuisinière. Mais je n’en ai trouvé aucune qui me plût.

– Ainsi vous êtes absolument seule ! dit Gédéon, stupéfait. Et vous n’avez pas peur ?

– Oh ! pas du tout ! répondit Julia. Je ne sais pas de quoi j’aurais peur. Je me suis simplement acheté un revolver, d’un bon marché fantastique, et j’ai demandé au marchand de me montrer la manière de m’en servir. Et puis, avant de me coucher, j’ai bien soin de barricader ma porte avec des tiroirs et des chaises.

– C’est égal, je suis heureux de penser que votre monde va bientôt rentrer ! dit Gédéon. Votre isolement m’inquiète beaucoup. S’il devait se prolonger, je pourrais vous pourvoir d’une vieille tante à moi, ou encore de ma femme de ménage, à votre choix.

– Me prêter une tante ! s’écria Julia. Oh ! quelle générosité ! Je commence à croire que c’est vous qui m’avez envoyé l’Hercule !

– Je vous donne ma parole d’honneur que non ! protesta le jeune homme. Je vous admire bien trop pour avoir pu vous envoyer une œuvre d’art aussi monstrueuse !

Julia allait répondre, lorsque les deux amis tressautèrent : un coup violent avait été frappé à la porte.

– Oh ! monsieur Forsyth !

– Ne craignez rien, ma chère enfant ! dit Gédéon appuyant tendrement sa main sur le bras de la jeune fille.

– Je sais ce que c’est ! murmura-t-elle. C’est la police ! Elle vient se plaindre au sujet de la statue !

Nouveau coup à la porte, plus violent, et plus impatient.

– Mon Dieu ! c’est Maurice ! s’écria la jeune fille. Elle courut à la porte et ouvrit.

C’était en effet Maurice qui apparaissait sur le seuil : non pas le Maurice des jours ordinaires, mais un homme d’aspect sauvage, pâle et hagard, avec des yeux injectés de sang, et une barbe de deux jours au menton.

– Le baril ? s’écria-t-il. Où est le baril qui est arrivé ce matin ?

Il regardait autour de lui, dans le vestibule, et ses yeux lui sortirent de la tête, littéralement, lorsqu’il aperçut les jambes de l’Hercule.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? hurla-t-il. Qu’est-que c’est que ce mannequin de cire ? Qu’est-ce que c’est ? Et où est le baril ? Le tonneau à eau ?

– Aucun baril n’est venu, Maurice ! répondit froidement Julia. Voici le seul colis qu’on ait apporté !

– Ça ? s’écria le malheureux. Je n’ai jamais entendu parler de ça !

– C’est cependant arrivé avec une adresse écrite de votre main ! répondit Julia. Nous avons presque été forcés de démolir la maison pour le faire entrer. Et je ne puis rien vous dire de plus !

Maurice la considéra avec un égarement sans limites. Il passa une de ses mains sur son front, et puis s’appuya contre le mur, comme un homme qui va s’évanouir. Mais, peu à peu, sa langue se délia, et il se mit à accabler la jeune fille d’un torrent d’injures. Jamais jusqu’alors Maurice lui-même ne se serait supposé capable d’autant de feu, d’autant de verve, ni d’une telle variété de locutions grossières. La jeune fille tremblait et chancelait sous cette fureur insensée.

– Je ne souffrirai point que vous parliez davantage à miss Hazeltine sur un ton pareil ! dit enfin Gédéon, s’interposant avec résolution.

– Je lui parlerai sur le ton qui me plaira, répliqua Maurice, dans un nouvel élan de fureur.