Le Nain noir

 

 

 

 

Le Nain noir

 

roman traduit de l’anglais par

Auguste Defauconpret

 

(Éditions de l’Aube, 2006.)

 

 

Ahora bien, dijo el cura ; traedme, señor huesped, aquesos libros, que los quiero ver. – Que me place, respondió él : y entrando en su aposento, sacó dél una maletilla vieja cerrada con una cadenilla y abriendola, halló en ella tres libros grandes y unos papeles de muy buena letra escritos de mano.

Don Quijote, Parte primera,

capitulo 32.

 

À merveille, dit le curé ; je vous prie, seigneur hôte, d’aller me chercher ces livres, j’ai envie de les voir. – De tout mon cœur, répondit l’hôte ; et il monta à sa chambre. Il en rapporta une vieille petite valise, fermée par un cadenas, qu’il ouvrit, et il en tira trois gros volumes et quelques manuscrits en beaux caractères.


 

 

Introduction

 

L’être idéal qui est ici représenté comme demeurant dans une solitude profonde, et tourmenté par la conscience de sa difformité et la crainte d’être un sujet de mépris pour le reste des hommes, n’est pas entièrement imaginaire. Un individu qui existait il y a des années suggéra à l’auteur l’idée de ce personnage. Ce pauvre diable avait nom David Ritchie. Il était du Tweeddale, et son père travaillait dans les ardoisières de Stobo. Sans doute il naquit difforme, bien que souvent il attribuât son infortune aux mauvais traitements qu’il avait essuyés dans son enfance. Il avait appris l’état de brossier à Édimbourg, et travailla dans plusieurs maisons dont il fut toujours renvoyé à cause de la sensation pénible que sa taille et son visage ne manquaient pas d’exciter. L’auteur l’a entendu dire qu’il avait été chercher de l’ouvrage jusqu’à Dublin.

Fatigué d’être un sujet de mépris et de dérision, David Ritchie résolut, comme un daim chassé du troupeau, de se retirer dans une solitude où il aurait le moins de communication possible avec un monde qui le repoussait, et il se réfugia dans un marais sauvage, au bas d’une digue, sur la ferme de Woodhouse, dans le vallon isolé de la petite rivière de Manor, dans le Peebleshire. Les gens qui passaient par hasard en cet endroit éprouvaient une grande surprise, les plus superstitieux étaient même un peu alarmés de voir un être aussi étrange que l’était Bow’d Davie (c’est-à-dire David le tortu), occupé à une tâche pour laquelle il semblait n’avoir aucun talent, celle de construire une maison. La chaumière qu’il bâtit était très petite, mais les murs qui l’entouraient, ainsi que le jardin, étaient construits avec une prétention de grande solidité, et composés de couches de larges pierres et de gazon : quelques-unes des pierres angulaires étaient si lourdes, qu’on se demandait avec surprise comment un tel architecte avait pu les soulever. Le fait est que David avait reçu souvent l’assistance des passants et de ceux qu’attirait la curiosité ; et comme on ignorait généralement cette circonstance, l’étonnement restait toujours le même.

Le propriétaire du sol, feu sir James Naesmith, baronnet, passa par hasard devant cette singulière demeure, qui, construite à son insu, rappelait exactement cette expression de Falstaff, d’une « belle maison bâtie sur les terres d’un autre » ; et le pauvre David aurait pu perdre le fruit de son travail. Mais sir James n’eut pas même la pensée d’user de ses droits, et il sanctionna de bon cœur cette innocente usurpation.

On a reconnu généralement que la description du personnage d’Elshender de Mucklestane-Moor était un portrait passablement exact, et peu exagéré, de David de Manorwater. La stature de David n’allait pas tout à fait à trois pieds et demi, puisqu’il pouvait se tenir droit sur le seuil de la porte de sa maison, qui avait juste cette hauteur. Les détails suivants sur sa personne et son caractère se trouvent dans le Magasin écossais de l’année 1817. On sait maintenant qu’ils ont été communiqués par l’ingénieux M. Robert Chambers, d’Édimbourg, qui a recueilli avec beaucoup de soin les traditions de la Bonne Ville et qui, dans d’autres publications, a ajouté à la masse de nos antiquités populaires. Sir Robert Chambers est le compatriote de David Ritchie, et il lui était plus facile qu’à tout autre de recueillir des anecdotes sur son compte.

« Son crâne, qui était oblong et d’une forme peu ordinaire, avait, assure-t-on, une telle force, que Ritchie pouvait le frapper avec violence contre le panneau d’une porte ou l’extrémité d’un baril. On dit que son rire était horrible ; et sa voix, qui ressemblait au cri d’un hibou, aigre, sauvage et discordante, était en rapport avec ses autres difformités. Son costume ne présentait rien de bien extraordinaire. Lorsqu’il sortait, il portait ordinairement un vieux chapeau, et chez lui une sorte de capuchon ou bonnet de nuit. Il ne mettait jamais de souliers (il lui eût été impossible d’en adapter à ses pieds de travers), mais ses pieds et ses jambes étaient toujours cachés et enveloppés dans des morceaux de drap ; il ne marchait jamais qu’appuyé sur un long bâton beaucoup plus grand que lui. Ses habitudes étaient singulières sous beaucoup de rapports, et indiquaient un esprit en harmonie avec sa grossière enveloppe. La jalousie, la misanthropie, l’irritation, constituaient les défauts prédominants de son caractère. La conscience de sa difformité le poursuivait comme un fantôme ; et les insultes et les mépris auxquels l’exposait cette difformité, avaient rempli son cœur de sentiments amers et cruels, qui n’auraient point été dans sa nature s’il eût ressemblé au reste des hommes.

« David détestait les enfants à cause de leur penchant à l’insulter et à le poursuivre. Avec les étrangers, il se montrait généralement réservé, fantasque et bourru ; et bien qu’on ne se refusât jamais à l’aider et à lui donner des secours pécuniaires, il exprimait ou montrait rarement de la reconnaissance, même envers les personnes qui lui ayant souvent rendu service possédaient le mieux ses bonnes grâces. Il était souvent capricieux et jaloux. Une dame qui l’avait connu depuis son enfance, et qui nous a communiqué avec la plus grande obligeance quelques détails qui le concernaient, assure que, bien que David témoignât à la famille de son père autant d’attachement et de respect qu’il était capable d’en éprouver, les membres de cette famille étaient cependant obligés de mettre une grande prudence dans leurs rapports avec lui. Un jour qu’elle était allée lui rendre visite avec une autre dame, il les mena dans son jardin, et il leur montrait avec satisfaction ses riches plates-bandes, lorsqu’elles s’arrêtèrent par hasard devant un carré de choux un peu maltraité par les insectes.