– Quel panégyrique !

LUI. – Il est vrai de tout point. Il n’y en a pas un mot à rabattre. Point de contestation là-dessus, s’il vous plaît. Personne ne me connaît mieux que moi ; et je ne dis pas tout.

MOI. – Je ne veux point vous fâcher ; et je conviendrai de tout.

LUI. – Eh bien, je vivais avec des gens qui m’avaient pris en gré, précisément parce que j’étais doué, à un rare degré, de toutes ces qualités.

MOI. – Cela est singulier. Jusqu’à présent j’avais cru ou qu’on se les cachait à soi-même, ou qu’on se les pardonnait, et qu’on les méprisait dans les autres.

LUI. – Se les cacher, est-ce qu’on le peut ? Soyez sûr que, quand Palissot est seul et qu’il revient sur lui-même, il se dit bien d’autres choses. Soyez sûr qu’en tête à tête avec son collègue, ils s’avouent franchement qu’ils ne sont que deux insignes maroufles. Les mépriser dans les autres ! mes gens étaient plus équitables, et leur caractère me réussissait merveilleusement auprès d’eux. J’étais comme un coq en pâte. On me fêtait. On ne me perdait pas un moment, sans me regretter. J’étais leur petit Rameau, leur joli Rameau, leur Rameau le fou l’impertinent, l’ignorant, le paresseux, le gourmand, le bouffon, la grosse bête. Il n’y avait pas une de ces épithètes familières qui ne me valût un sourire, une caresse, un petit coup sur l’épaule, un soufflet, un coup de pied, à table un bon morceau qu’on me jetait sur mon assiette, hors de table une liberté que je prenais sans conséquence, car moi, je suis sans conséquence. On fait de moi, avec moi, devant moi, tout ce qu’on veut, sans que je m’en formalise ; et les petits présents qui me pleuvaient ? Le grand chien que je suis ; j’ai tout perdu ! J’ai tout perdu pour avoir eu le sens commun, une fois, une seule fois en ma vie ; ah, si cela m’arrive jamais !

MOI. – De quoi s’agissait-il donc ?

LUI. – C’est une sottise incomparable, incompréhensible, irrémissible.

MOI. – Quelle sottise encore ?

LUI. – Rameau, Rameau, vous avait-on pris pour cela ! La sottise d’avoir eu un peu de goût, un peu d’esprit, un peu de raison. Rameau, mon ami, cela vous apprendra à rester ce que Dieu vous fit et ce que vos protecteurs vous voulaient. Aussi l’on vous a pris par les épaules, on vous a conduit à la porte ; on vous a dit, « faquin, tirez ; ne reparaissez plus. Cela veut avoir du sens, de la raison, je crois ! Tirez. Nous avons de ces qualités-à, de reste ». Vous vous en êtes allé en vous mordant les doigts ; c’est votre langue maudite qu’il fallait mordre auparavant. Pour ne vous en être pas avisé, vous voilà sur le pavé, sans le sol, et ne sachant où donner de la tête. Vous étiez nourri à bouche que veux-tu, et vous retournerez au regrat ; bien logé, et vous serez trop heureux si l’on vous rend votre grenier ; bien couché, et la paille vous attend entre le cocher de Monsieur de Soubise et l’ami Robbé. Au lieu d’un sommeil doux et tranquille, comme vous l’aviez, vous entendrez d’une oreille le hennissement et le piétinement des chevaux, de l’autre, le bruit mille fois plus insupportable des vers secs, durs et barbares.