Malheureux, malavisé, possédé d’un million de diables !
MOI. – Mais n’y aurait-il pas moyen de se rapatrier ? La faute que vous avez commise est-elle si impardonnable ? A votre place, j’irais retrouver mes gens. Vous leur êtes plus nécessaire que vous ne croyez.
LUI. – Oh, je suis sûr qu’à présent qu’ils ne m’ont pas, pour les faire rire, ils s’ennuient comme des chiens.
MOI. – J’irais donc les retrouver. Je ne leur laisserais pas le temps de se passer de moi ; de se tourner vers quelque amusement honnête : car qui sait ce qui peut arriver ?
LUI. – Ce n’est pas là ce que je crains. Cela n’arrivera pas.
MOI. – Quelque sublime que vous soyez, un autre peut vous remplacer.
LUI. – Difficilement.
MOI. – D’accord. Cependant j’irais avec ce visage défait, ces yeux égarés, ce col débraillé, ces cheveux ébouriffés, dans l’état vraiment tragique où vous voilà. Je me jetterais aux pieds de la divinité. Je me collerais la face contre terre ; et sans me relever, je lui dirais d’une voix basse et sanglotante : « Pardon, madame ! pardon ! je suis un indigne, un infâme. Ce fut un malheureux instant ; car vous savez que je ne suis pas sujet à avoir du sens commun, et je vous promets de n’en avoir de ma vie. »
Ce qu’il y a de plaisant, c’est que, tandis que je lui tenais ce discours, il en exécutait la pantomime. Il s’était prosterné ; il avait collé son visage contre terre ; il paraissait tenir entre ses deux mains le bout d’une pantoufle ; il pleurait ; il sanglotait ; il disait, « oui, ma petite reine ; oui, je le promets ; je n’en aurai de ma vie, de ma vie ». Puis se relevant brusquement, il ajouta d’un ton sérieux et réfléchi :
LUI. – Oui : vous avez raison. Je crois que c’est le mieux. Elle est bonne. Monsieur Viellard dit qu’elle est si bonne. Moi, je sais un peu qu’elle l’est. Mais cependant aller s’humilier devant une guenon ! Crier miséricorde aux pieds d’une misérable petite histrionne que les sifflets du parterre ne cessent de poursuivre ! Moi, Rameau ! fils de Monsieur Rameau, apothicaire de Dijon, qui est un homme de bien et qui n’a jamais fléchi le genou devant qui que ce soit ! Moi, Rameau, le neveu de celui qu’on appelle le grand Rameau, qu’on voit se promener droit et les bras en l’air, au Palais-Royal, depuis que monsieur Carmontelle l’a dessiné courbé, et les mains sous les basques de son habit ! Moi qui ai composé des pièces de clavecins que personne ne joue, mais qui seront peut-être les seules qui passeront à la postérité qui les jouera ; moi ! moi enfin ! J’irais !… Tenez, Monsieur, cela ne se peut. Et mettant sa main droite sur sa poitrine, il ajoutait : le me sens là quelque chose qui s’élève et qui me dit, « Rameau, tu n’en feras rien ». Il faut qu’il y ait une certaine dignité attachée à la nature de l’homme, que rien ne peut étouffer. Cela se réveille à propos de bottes. Oui, à propos de bottes ; car il y a d’autres jours où il ne m’en coûterait rien pour être vil tant qu’on voudrait ; ces jours-là, pour un liard, je baiserais le cul à la petite Hus.
MOI. – Hé, mais, l’ami ; elle est blanche, jolie, jeune, douce, potelée ; et c’est un acte d’humilité auquel un plus délicat que vous pourrait quelquefois s’abaisser.
LUI. – Entendons-nous ; c’est qu’il y a baiser le cul au simple, et baiser le cul au figuré. Demandez au gros Bergier qui baise le cul de madame de La Marck au simple et au figuré ; et ma foi, le simple et le figuré me déplairaient également là.
MOI.
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