Même si, au lieu d'être calme et poli, j'étais entreprenant.

MARTHE : Que voulez-vous dire ? Ah ! vous vous dites : « Naïf, j'aurais dû... » Oui, à propos ! peut-être que la violence !

PIERRE : Dame !

MARTHE : Oh ! non, ne vous repentez pas, laissez en paix la force armée.

PIERRE : Vous savez, on dit toujours ça, pour faire l'homme. En réalité...

MARTHE : Vous seriez aussi gêné que moi ? Je vous connais, votre imagination a une envergure d'aigle et un appétit de moineau. Il vous suffit de déplacer un meuble pour croire que vous déménagez, et d'ouvrir la fenêtre pour croire que vous êtes libre. La liberté dehors fait trop de poussière.

PIERRE : Faut-il s'en entendre dire ? Vous devenez bien mauvaise.

MARTHE : Et il vous suffit de baiser la main d'une femme pour croire que vous trompez la vôtre. (Elle lui tend la main.) Tenez, mon ami, voilà !

PIERRE : C'est une petite, toute petite, toute mignonne compensation.

MARTHE : Dire que vous vous faites sermonner encore !

PIERRE : Un grand garçon comme moi, je ne le ferai plus.

MARTHE : Vous devriez m'être reconnaissant !

PIERRE : Croyez à ma sincère gratitude.

MARTHE : Ne craignez pas que je vous en veuille, au moins.

PIERRE : Ah ! je savais bien que vous étiez bonne !

MARTHE : Vous m'avez dit des mots qui ne blessent pas une femme mortellement.

PIERRE : Je ne retire rien.

MARTHE : Vous m'avez gâtée.

PIERRE : J'ai improvisé de mon mieux.

MARTHE : Vous m'avez traitée comme une déesse. Vous m'avez émue.

PIERRE : Pas trop.

MARTHE : Vous m'avez presque troublée et si mon amitié...

PIERRE : Ah ! vous mêlez les genres.

MARTHE : Vous ne voulez pas de mon amitié ?

PIERRE : Non, pas ce soir.

MARTHE : D'une amitié cordiale  !

PIERRE : Oh ! cordiale : une amitié de jour de l'an ! Non, sans cérémonies. Demain; à demain les affaires sympathiques.

MARTHE : Adieu. Rentrons dans nos cages dorées. Vous là, près de Berthe, moi ici...

PIERRE : Près d'Alfred ?

MARTHE : Près d'Alfred.

PIERRE : Et je ne suis pas jaloux... Tout de même, dites, ce vilain Alfred qui dort comme un égoïste, qui ronfle...

MARTHE : Oh ! à peine, il ronronne.

PIERRE : Accordez-moi la faveur délicate de le laisser tranquille ce soir. Ne le réveillez pas.

MARTHE : C'est promis.

PIERRE : Merci.

MARTHE : En échange ?...

PIERRE : Oh ! je le jure...

MARTHE : Votre femme ne doit pas dormir. Je suis certaine qu'elle veille toujours, près de la lampe, sa fillette calmée. Elle vous attend. Approchez-vous d'elle, sans bruit, et, de tout votre cœur, embrassez-la bien.

RIDEAU

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