Je crois encore à celle de votre mari. Et vous ?

MARTHE : Sans effort. Et depuis combien d'années êtes-vous marié ?

PIERRE : Douze. Je me suis marié jeune, dès que j'ai eu l'âge de raison.

MARTHE (se lève, moqueuse) : Douze !

PIERRE : Et je ne compte pas les mois de fiançailles.

MARTHE : Laissez-moi vous regarder.

PIERRE : Regardez, regardons-nous. Je ne me lasserai pas le premier. Ça m'est égal d'avoir l'air ridicule devant vous. Je sais que vous ne vous fiez pas aux apparences.

MARTHE : Vous, ridicule ! Vous méritez du bronze et une niche. Vous êtes un saint.

PIERRE : Mais vous qui faites le malin, voulez-vous me dire si vous avez eu des amants ?

MARTHE : Cette question, à moi ! Des amants, au pluriel ! Pour quoi faire ?

PIERRE : Pour tromper plusieurs fois votre mari... J'exagère ?

MARTHE : Totalement.

PIERRE : Vous n'avoueriez pas.

MARTHE : Mais si, ça me ferait valoir.

PIERRE : Comme on a dû vous faire la cour !

MARTHE : Pas tant que vous croyez.

PIERRE : Cette blague !

MARTHE : Non, coquetterie à part. Jeune fille, j'ai mis en flamme, comme toutes les jeunes filles, un cœur ou deux; on a fait une chute de cheval sous mes fenêtres...

PIERRE : Oh !

MARTHE : On l'a faite adroitement, ça compte tout de même et je m'en honore; mais depuis, rien. Une fois mariée, je n'ai pas eu la curiosité de regarder par la fenêtre.

PIERRE : Craignez-vous que votre mari écoute ?... La chasse d'aujourd'hui l'a rompu. Il dort. (Pierre désigne l'autre côté du chalet.) Dans son lit, en toute sécurité. Vous osez me dire qu'aucun homme ne s'est encore risqué.

MARTHE : Je le soutiens.

PIERRE : La mémoire vous fait défaut, on vous a écrit des lettres ?

MARTHE : On savait bien que mon mari, après les avoir lues, m'aurait défendu d'y répondre.

PIERRE : C'est fort.

MARTHE : C'est comme ça.

PIERRE : Je me demande à quoi les hommes qui vous connaisses occupent leurs loisirs.

MARTHE : Mon ami, ces choses-là se passe à peu près de la même façon dans tous les milieux. Les hommes, sans cesse à l'affût, il est vrai, ne s'approchent pourtant que si on leur fait signe.

PIERRE : Quel signe ?

MARTHE : Oh ! il varie avec le milieu et il échappe aux indifférents comme vous. Mais il y a toujours un signe.

PIERRE : Faites-le, pour voir.

MARTHE : Non, je ne veux pas faire de signes, à personne. Voilà mon secret.

PIERRE : Quoi ! vous n'avez rien à la conscience que je pourrais vous reprocher: une peccadille, une tache imperceptible ?

MARTHE : Il n'y a pas que vous d'immaculé, mon ami. Je vous assure que je vous le dirais. Entre nous, ça n'a aucune importance.

PIERRE : Aucune. Vous voyez bien que, vous aussi, vous n'êtes qu'une honnête femme, et vous ne serez jamais qu'une honnête femme.

MARTHE : Vous me dites ça avec mépris.

PIERRE : Je vous le dis avec respect: vous ne serez jamais qu'une honnête femme.

MARTHE : Oh ! Oh !

PIERRE : Ah ! Ah !

MARTHE : Vous m'engagez trop. Je suis une honnête femme jusqu'à présent. Mais je ne crie pas, sur les toits, que je serai toujours une honnête femme. Est-ce que je le sais ? À la vérité, je n'en sais rien. Je n'ai aucune envie de tromper Alfred, et pourtant je serais désolée d'avoir la certitude de ne jamais le tromper. Ce serait là une certitude un peu niaise, un peu humiliante. Je réponds d'hier, je réponds même d'aujourd'hui. Je ne prétends pas que ce soit héroïque, mais c'est déjà suffisant.

PIERRE : Et vous faites vos réserves pour l'avenir.

MARTHE : Je fait la part de l'imprévu, des heures de crises, où tout ce qu'on s'était juré et rien, c'est la même chose. Je refuse de prononcer des vœux de fidélité éternelle. Je suis une honnête femme qui doute quelquefois de sa résistance.