Ma vie, jusqu'à ce jour, a glissé droite et légère, sur une glace pure. Mais il faut craindre l'accident. Je le crains. Je l'imagine, et je frissonne de peur. C'est très agréable.

PIERRE : Voilà ! voilà ! Vous parlez en femme qui n'est pas sotte. Vous tomberez, s'il le faut, demain ou après-demain. On ne peut pas fixer la date d'un accident.

MARTHE : J'accorde seulement qu'il est possible.

PIERRE : Probable.

MARTHE : Non, il me répugne de préciser davantage. L'idée perverse m'amuse d'abord, mais je sens vite que la chose n'aurait rien de drôle, n'importe avec qui. Pour que l'image de l'adultère ne me fasse pas baisser d'écœurement les yeux, il faut qu'elle reste dans le vague et le lointain.

PIERRE : Elle peut vous mener loin.

MARTHE : Je ne suis pas pressée.

PIERRE : Ni moi, ni votre mari non plus, ni ma femme non plus. Ainsi, dans ce rustique chalet, où nous vous offrons, pour quelques semaines d'automne, une hospitalité amicale, il y a réunies quatre personnes mariées, et, par un hasard extraordinaire, ces quatre personnes sont toutes les quatre d'une fidélité à l'abri des coups de foudre. Vous aimez votre mari, votre mari vous aime bien, ma femme m'aime bien et j'aime bien ma femme. Sous le même toit, sur deux ménages, il y a deux ménages modèles. Deux sur deux ! Nous réalisons le maximum... sauf erreur.

MARTHE : Moi, je n'en cherche pas.

PIERRE : Vous auriez tort : votre mari est jeune, beau garçon...

MARTHE : Distingué.

PIERRE : Beau garçon, plus beau garçon que moi. Il est moins fort, mais il a une bonne santé.

MARTHE : Excellente; un peu sujet aux migraines.

PIERRE : Ce n'est pas grave. Cela vient de ce qu'il possède, dans toute l'acception du mot, la plus jolie femme de Paris.

MARTHE : Une des plus jolies femmes.

PIERRE : Oh ! pendant que j'y étais !... Et comme il vous aime beaucoup...

MARTHE : Beaucoup.

PIERRE : Je conclus que vous ne vous ennuyez pas.

MARTHE : Rarement. Mais plaignez-vous donc. Vous n'êtes pas mal.

PIERRE : Je suis mieux que ça.

MARTHE : Quant à votre femme...

PIERRE : Vous avez une manière discrète d'insister sur mes mérites personnels !

MARTHE : C'est que j'ai hâte de faire l'éloge de votre femme, qui vaut encore mieux que vous, quel que soit votre prix. C'est une perle.

PIERRE (gravement) : Inestimable.

MARTHE : Elle a un genre de beauté bien à elle.

PIERRE : Et bien à moi.

MARTHE : Je ne lui connais que des qualités: elle les a toutes.

PIERRE : Elle a même des vertus. C'est la seule femme de notre monde qui ait des vertus.

MARTHE : La seule ?

PIERRE : Ne réclamez pas. Une vertu, une vraie vertu, c'est trop sérieux pour vous.

MARTHE : Ah ! et citez-moi, s'il vous plaît, une vertu à laquelle je ne puisse prétendre.

PIERRE : Je cite au hasard, la première venue, la bonté.

MARTHE : Je ne suis pas bonne ?

PIERRE : Si, de cette espèce de bonté qui n'abîme pas le teint.

MARTHE : Comment ? Je ne suis pas bonne pour mon mari, pour mes enfants, mes amis ?

PIERRE : Et pour vos pauvres. En effet, votre mari vous brutalise, vos enfants sont des monstres que les photographes se disputent, vos amis vous assomment de compliments, et les pauvres ne vous disent même pas merci; cependant vous n'en voulez ni aux uns, ni aux autres. Et, comme toute votre bonté y passe, vous n'en avez jamais de reste.

MARTHE : Votre femme est plus généreuse ?

PIERRE : Oh ! n'essayez pas de lutter. Dans n'importe quelle occasion de se dévouer. Berthe vous battrait.

MARTHE : Exemple ?

PIERRE : Exemple. Si votre mari vous trompait, que feriez-vous ?

MARTHE (sans hésiter) : J'ai deux projets, à mon choix: Premièrement, si mon mari me trompe, je le trompe tout de suite, tout de suite, avec le plus voisin de ses amis. Et ce sera si vite fait que, mon mari et moi, nous ne saurons même plus lequel des deux aura commencé.

PIERRE : Quoique vulgarisée, cette méthode ne me déplaît pas. Nous habitons la même rue à Paris: j'ai des chances. Voyons l'autre.

MARTHE : Le soir même du jour où je m'apercevrai de quelque chose, et chaque soir, jusqu'à ce que la leçon profite, je me ferai si tendre et si exigeante que mon mari ne paraîtra plus à sa maîtresse qu'un amant hors de service.

PIERRE : C'est assez original, mais d'une exécution pénible.

MARTHE : C'est un tour de force.