Cela vient de ce qu'il possède, dans toute l'acception du mot, la plus jolie femme de Paris.
MARTHE : Une des plus jolies femmes.
PIERRE : Oh ! pendant que j'y étais !... Et comme il vous aime beaucoup...
MARTHE : Beaucoup.
PIERRE : Je conclus que vous ne vous ennuyez pas.
MARTHE : Rarement. Mais plaignez-vous donc. Vous n'êtes pas mal.
PIERRE : Je suis mieux que ça.
MARTHE : Quant à votre femme...
PIERRE : Vous avez une manière discrète d'insister sur mes mérites personnels !
MARTHE : C'est que j'ai hâte de faire l'éloge de votre femme, qui vaut encore mieux que vous, quel que soit votre prix. C'est une perle.
PIERRE (gravement) : Inestimable.
MARTHE : Elle a un genre de beauté bien à elle.
PIERRE : Et bien à moi.
MARTHE : Je ne lui connais que des qualités: elle les a toutes.
PIERRE : Elle a même des vertus. C'est la seule femme de notre monde qui ait des vertus.
MARTHE : La seule ?
PIERRE : Ne réclamez pas. Une vertu, une vraie vertu, c'est trop sérieux pour vous.
MARTHE : Ah ! et citez-moi, s'il vous plaît, une vertu à laquelle je ne puisse prétendre.
PIERRE : Je cite au hasard, la première venue, la bonté.
MARTHE : Je ne suis pas bonne ?
PIERRE : Si, de cette espèce de bonté qui n'abîme pas le teint.
MARTHE : Comment ? Je ne suis pas bonne pour mon mari, pour mes enfants, mes amis ?
PIERRE : Et pour vos pauvres. En effet, votre mari vous brutalise, vos enfants sont des monstres que les photographes se disputent, vos amis vous assomment de compliments, et les pauvres ne vous disent même pas merci; cependant vous n'en voulez ni aux uns, ni aux autres. Et, comme toute votre bonté y passe, vous n'en avez jamais de reste.
MARTHE : Votre femme est plus généreuse ?
PIERRE : Oh ! n'essayez pas de lutter. Dans n'importe quelle occasion de se dévouer. Berthe vous battrait.
MARTHE : Exemple ?
PIERRE : Exemple. Si votre mari vous trompait, que feriez-vous ?
MARTHE (sans hésiter) : J'ai deux projets, à mon choix: Premièrement, si mon mari me trompe, je le trompe tout de suite, tout de suite, avec le plus voisin de ses amis. Et ce sera si vite fait que, mon mari et moi, nous ne saurons même plus lequel des deux aura commencé.
PIERRE : Quoique vulgarisée, cette méthode ne me déplaît pas. Nous habitons la même rue à Paris: j'ai des chances. Voyons l'autre.
MARTHE : Le soir même du jour où je m'apercevrai de quelque chose, et chaque soir, jusqu'à ce que la leçon profite, je me ferai si tendre et si exigeante que mon mari ne paraîtra plus à sa maîtresse qu'un amant hors de service.
PIERRE : C'est assez original, mais d'une exécution pénible.
MARTHE : C'est un tour de force. Je peux ne pas réussir, mais, si je réussis, quel dédain pour Alfred, quand je l'aurai ruiné !
PIERRE : Comme vous êtes bonne !
MARTHE : Je suis juste.
PIERRE : La bonté se moque un peu de la justice.
MARTHE : Que ferait donc votre femme à ma place ?
PIERRE : Je la questionne souvent. « Que ferais-tu ? lui dis-je.
- Ne parlons pas de ça, dit-elle.
- Parlons-en; tout arrive.
- Je ne peux pas croire que ce malheur puisse m'arriver.
- Moi non plus, mais je suppose.
- Tais-toi, dit-elle, tu me tourmentes.
- Ma chère petite, lui dis-je, il est impossible que tu n'aies pas tes idées sur l'adultère, une théorie comme toutes les femmes. Tu y penses quelquefois.
- Jamais, dit-elle.
– Penses-y donc un instant, réfléchis une minute et réponds: c'est pour rire. Si je te trompais, que ferais-tu ?
- J'aurais beaucoup de chagrin.
- Je l'espère bien. D'ailleurs, j'en aurais peut-être plus que toi. Mais après ? te vengerais-tu ? me pardonnerais-tu ? Que ferais-tu ?
- Rien, rien. » Et, si j'insiste encore, elle se met d'avance à pleurer.
MARTHE : C'est ce que vous appelez de la bonté ?
PIERRE : C'est ce que toutes les femmes qui en sont incapables appellent de la bêtise.
MARTHE : Mais, mon ami, quand on a une femme comme la vôtre, on reste chez soi.
Elle s'éloigne
PIERRE : C'est ce que je fais, depuis douze ans. Bonsoir !
MARTHE (avec simplicité) : Oh ! pardon ! Bonsoir.
PIERRE : Naturellement, bonsoir ! Puisque vous êtes la plus heureuse des femmes, et moi le plus heureux des hommes, puisque l'union de nos ménages est indéchirable, que faisons-nous là, tous les deux, à dix heures passées, tandis que ma femme veille et que votre mari dort ? Ça ne vaut rien au bonheur de se coucher si tard. Allez le rejoindre ! Je vais la retrouver.
MARTHE : Allons.
PIERRE : Car il est inexplicable, notre faible pour ce sujet de conversation. Dès que nous sommes seuls, dans ce salon, dans le jardin, ou à la promenade, tout à coup votre œil s'anime et je sens que je vais briller : « Que pensez-vous de l'amour ? »
MARTHE : « Avez-vous un amant ? »
PIERRE : « Aurez-vous bientôt une maîtresse ? Où la mettrez-vous ? » C'est notre petit jeu préféré.
MARTHE : Il est innocent, puisqu'il se termine chaque fois par le double éloge de votre femme et de mon mari.
PIERRE : Mais pourquoi parlons-nous d'autre chose en leur présence ?
MARTHE : On ne parle bien de ces choses-là qu'à deux.
PIERRE : Mais alors, madame, c'est à votre mari qu'il faut en parler. Et je vous en défie. Vous ne tarderiez guère à bâiller. Pourquoi ?
MARTHE : Parce qu'Alfred peut m'aimer sans me parler d'amour. C'est un passionné qui serre les dents. Il déteste ce genre de conversation. Il le trouve stupide.
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