Il prétend qu'on n'y dit que des sottises.
PIERRE : Les imbéciles, mais vous et moi ?
MARTHE : Nous sommes les deux personnes les plus spirituelles que nous connaissions.
PIERRE : Et n'est-ce pas que vous prenez plaisir à nos bavardages ?
MARTHE : Oui, je l'avoue.
Ils sont assis.
PIERRE : Un plaisir que vous ne devez pas à votre mari que vous aimez, et que vous me devez, à moi que vous n'aimez pas, que vous n'aimez pas; ce qui m'est bien égal puisque je ne vous aime pas.
MARTHE : Dieu merci; je le dirais tout de suite à votre femme.
PIERRE : Berthe refuserait de vous croire. Elle est très tranquille. Nous sommes tous très tranquilles. Mais puisque sans nous aimer, chère madame , nous ne nous plaisons qu'à parler d'amour, qu'est-ce que ce plaisir qui ne mène à rien ?
MARTHE : Le plaisir toujours à la mode, le plaisir de flirter.
PIERRE : Oh ! Flirter, ce mot-là m'énerve. Flirt ! Flirt ! c'est crispant comme une automobile sous pression. Laissez donc aux Anglais leurs petits de mots. Qu'ils aient au moins ça en Angleterre.
MARTHE : Je ne tiens pas aux mots. Mettons que ce soit un plaisir platonique.
PIERRE : Oh ! platonique ! C'est encore plus laid. Ça sent l'office et la pharmacie. De grâce, choisissez vos expressions, quand il s'agit...
MARTHE : De quoi ? il me semble que vous n'êtes plus clair.
PIERRE : De notre bonheur même. Oui, oui, oui, ce plaisir d'être là, seuls, l'un près de l'autre, de dire des riens, avec mystère, de célébrer, avec pompe, les louanges de nos ménages et de traiter comme des psychologues professionnels, mais en cachette, toutes les questions de l'amour, c'est la preuve que vous vous vantez et que je me vante et que votre bonheur parfait est surfait.
MARTHE : Vous vous trompez; moi, je suis absolument heureuse.
PIERRE : Ce n'est pas vrai !
MARTHE : Mon ami, prenez garde.
PIERRE : Oh ! je prends garde. Je me garde de toute plaisanterie vulgaire sur votre mari. C'est un homme que je place très haut dans mon estime et qui me vaut bien.
MARTHE : Vous le flattez.
PIERRE : Je lui rends justice.
MARTHE : C'est réciproque.
PIERRE : Entendu. Mais il y a des choses qu'il ne sait pas vous dire comme je vous les dirais. Et cela vous manque, si, si. Êtes-vous femme, oui ou non ?
MARTHE : Non. - Quelles choses ?
PIERRE : Il ne sait pas vous dire, comme moi, que vous une femme d'un goût exquis et que vous vous habillez... comme une fleur !
MARTHE : Berthe aussi s'habille très bien.
PIERRE : Elle ne porte que du classique. Il ne se rappelle pas, comme moi, votre mari, certain chapeau de l'année dernière, tout chargé de cerises rouges. Il fallait être vous, pour porter, avec une témérité de vieux révolutionnaire, un chapeau de cette crânerie. Il éclatait sur le boulevard. Il affolait les yeux. On ne voyait que vos cerises. Il devait donner l'envie aux gamins d'y grimper et de ne pas vous en laisser une. Et il vous allait ! Il vous allait !
MARTHE : Il m'allait bien, n'est-ce pas ?
PIERRE : Il vous allait comme le beau temps à la nature.
MARTHE : C'est gentil, ça.
PIERRE : Tiens, parbleu ! je vous crois. Et ces gentillesses-là, est-ce votre mari qui vous les dirait ?
MARTHE : Il m'en a dit.
PIERRE : Il ne vous en dit plus.
MARTHE : Quelques -unes.
PIERRE : Pas souvent.
MARTHE : Quelquefois.
PIERRE : Il vous en dira de moins en moins, je vous l'affirme. Et je le trouve excusable. C'est fatigant à la longue. Il a perdu l'habitude. Je parie qu'il ne vous dit pas que vous êtes intelligente ?
MARTHE : Oh ! ça !
PIERRE : Je ne veux pas dire que vous ne faites que rouler dans votre tête des pensées de Pascal.
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