Mais vous avez l'intelligence du geste, du sourire, de la réplique ! À chaque trait qui vous frappe, vous étincelez.
MARTHE : Je place mon mot, comme une autre, à l'occasion. C'est moins un mot d'esprit qu'un mot du cœur.
PIERRE : Cet air modeste ! Mais vous êtes une Parisienne exceptionnelle et rayonnante, qui sait tout, qui lit tout, qui peut tout dire et tout juger. Car c'est incroyable : vous auriez le droit d'être frivole, évaporée, aérienne, et vous avez du bon sens, du gros bon sens.
MARTHE : J'ai mes petites idées et j'y tiens.
PIERRE : C'est énorme. Plus intelligente, vous le seriez trop. Vous ne laisseriez rien aux messieurs qui vous détesteraient. Voilà ce que votre mari ne vous dit jamais. Il ne vous dit même plus que vous êtes jolie. (Marthe, déjà rêveuse, ne répond pas.) Je m'en doutais. Et pourtant il le sait; d'ailleurs tout le monde le sait : vous êtes unanimement jolie.
MARTHE : Mais il est de plus en plus gentil. Qu'est-ce qu'il a donc ce soir ?
PIERRE : Je ne vous accable pas d'injures, hein ! Essayez de vous fâcher.
MARTHE : Je ne peux pas.
PIERRE : Mettez-vous en colère parce que je vous dis que, lorsque vous montez les Champs-Elysées, il y a, de chaque côté de l'avenue, un mouvement de curiosité, un vif remue-ménage de chaises. Tout s'incline sur votre sillage, votre cocher se dresse avec plus de style, et parmi les voitures qui semblent s'arrêter la vôtre roule comme un char vers l'Arc de Triomphe !
MARTHE (elle rit) : Ca, c'est drôle.
PIERRE : Oh ! ce rire musical ! cette alouette qui part de votre bouche ! Et le soir, au théâtre, si quelqu'un murmure : "La jolie Femme ! "je n'ai pas besoin de chercher des yeux. Je devine que vous êtes dans la salle. Aussitôt, je sens que je vais passer une bonne soirée. La pièce que j'écoute moins me paraît meilleure et le lustre éclaire double !
MARTHE : Et vous dites que c'est fatigant ?
PIERRE : Et je suis à peine en train. Vous n'imaginez pas le nombre de fois que je pourrais vous répéter que vous êtes non une jolie femme. mais la jolie femme, l'idéale !
MARTHE : Oh ! Oh ! où voulez-vous que je me mette ?
PIERRE : Plus près de moi... (Marthe se recule.) Et je vous en dirais bien d'autres. Je vous dirais toutes vos grâces, et je ne me priverais pas de vous en inventer, si vous n'étiez une honnête femme, si je n'étais un homme fidèle. Mais il nous faut, ma chère amie, renoncer tous deux aux déclarations d'amour, moi à les faire, vous à les entendre.
MARTHE : C'est dommage.
PIERRE : C'est absurde. Je vous disais tout à l'heure que je n'étais pas un homme à me moquer de votre mari. Je ne suis pas un homme assez méprisable pour faire de l'ironie à propos de ma femme que j'aime du fond du cœur, que j'admire.
MARTHE : Je ne vous le permettrais pas.
PIERRE : Mais, après douze ans de ménage, je ne peux pas, moi qui aime tant ça, moi qui suis né exprès pour ça, filer à ses pieds des phrases d'amour. Ce serait du gaspillage.
MARTHE : Berthe ne se plaindrait peut-être point.
PIERRE : Évidemment. Elle serait très sensible. Elle rougirait, étonnée. Mais elle est si bonne ménagère que, dans sa surprise, elle me répondrait quelque chose comme « Tu vas renverser mon café !... » Et désormais, ce sera toujours ainsi, j'aurai toujours peur, si je m'abandonne, de casser quelque objet de ménage.
MARTHE : Je comprends. je comprends.
PIERRE : N'est-ce pas ?
MARTHE : Oui, vous finissez par aimer Berthe comme une sœur.
PIERRE : Presque. Entre elle et moi, si ce n'est pas encore de l'amitié, c'est déjà de l'amour retenu, alangui, incolore et dépouillé de ses fleurs. Tenez; je songe à ces faux arbres nains, secs et sans écorces, qu'on voit dans les cages des jardins zoologiques. Les oiseaux, par nécessité, s'en contentent, mais pas les fleurs. (Étonnement de Marthe.) Ça n'a aucun rapport, mais sentez-vous ce que je veux dire ?
MARTHE : Oh ! très bien, très bien ! comme si vous m'expliquiez mes rêves, mes rêvasseries plutôt.
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