Il va sans dire que, l'heure venue, je saurais bien embrasser une femme.
MARTHE : Oui, n'est ce pas, tout de même ?
PIERRE : Oh ! vous aviez l'air de me comprendre, vous ne me comprenez plus. Mais non, mais non, il ne s'agit pas de scandale, de vies brisées, d'histoire malpropres. Je n'imaginais, moi, que quelque chose de rare, de bref, de très doux et d'inoffensif, un feu de paille ou n'aurions brûlé que des sentiments, et qui n'aurait pas fait plus mal à nos cœurs que ce rayon de lune n'altère le vitrail qu'il traverse.
MARTHE : Mais, troubadour, charmant troubadour que vous êtes, soyez donc simple une fois dans votre vie. Un congé, ça se passe quelque part. Je suis prête. Partons.
PIERRE : Chère Marthe !
MARTHE : Oui, partons. Je ne tiens plus à mes fragiles raisons et je ne doute plus de votre sincérité. Il n'est pas possible qu'un homme comme vous se fasse un jeu d'étourdir une femme avec des mots, sans savoir où il l'entraîne. Vous le savez. Je vous crois, je vous crois, et c'est moi qui vous dis maintenant : partons, mon ami, partons vite. Ah !
PIERRE : Quand vous voudrez, Marthe.
MARTHE : Tout de suite, oh ! tout de suite !... Ne me laissez pas me ressaisir. Partons, comme vous êtes, comme je suis, sans malle, sans toilettes. Fuyons vite, vite. Où allons-nous ?
PIERRE : Où vous voudrez.
MARTHE : Vous n'êtes pas fixé ?
PIERRE : Mais si, mais si, n'importe où, à la mer, à la montagne, vous êtes femme à ne déparer aucun paysage, au bout du monde.
MARTHE : À Marseille.
PIERRE : Au paradis !
MARTHE : Le paradis n'est pas sur l'indicateur. Je vous affirme que nous n'irions pas jusqu'à Nice et que notre voyage au bout du monde s'arrêterait à Marseille, à treize heures de Paris. Oh ! je vous accorde sans peine que votre lyrisme peut supporter ce trajet. Mais, là, après une nuit d'hôtel (car nous aurions dormi côte à côte, inévitablement, il aurait bien fallu), là, dans ces rues qui sentent l'huile, le savon et la prose, sous ce soleil commercial, tout fondrait, tout sécherait, mon teint de blonde et votre éclat romanesque.
PIERRE : C'est à ce point que les voyages vous déforment ?
MARTHE : Telle est, mon ami, la farce que nous jouerait la seconde ville de France.
PIERRE : La troisième.
MARTHE : Oui, la troisième, si vous voulez ! Moins penauds toutefois, si nous avions eu la précaution de prendre un billet d'aller et retour afin de revenir économiquement par le rapide.
PIERRE : Et malheur à qui nous l'aurait fait manquer ! Tout cela est un triomphe facile.
MARTHE : Et la rentrée, hein ! Ah ! la rentrée. (Elle désigne les deux portes des deux ménages.) Est-ce que vous apercevez d'ici leurs figures ?
PIERRE : Il y a une bonne distance.
MARTHE : Ils croiraient peut-être simplement rêver, ou peut-être qu'ils prendraient aussi leur congé.
PIERRE : Ils seraient libres.
MARTHE : N'espérez pas qu'ils en profiteraient. il faudrait les affronter comme des juges. J'ai froid !
PIERRE : Vous avez peur ? Votre mari vous tuerait peut-être !
MARTHE : Me tuerait-il ? Se tuerait-il ! Ou l'aventure lui paraîtrait-elle du plus haut comique ! Je ne sais, mais je devine nettement l'accueil de votre femme. Pauvre Berthe ! Je la vois à l'épreuve, avec sa bonté d'ange, sa bonté à tout faire, dont vous abusez un peu, mon ami, dont j'abuse moi-même, car, je l'ai remarqué, depuis que nous vivons ensemble, à la campagne, je ne prends de la vie commune que les plaisirs, et je lui laisse les corvées. Oh ! avec elle, vous ne seriez pas en péril de mort. Aucune scène. Ni reproche, ni mépris. Votre honte ne se verrait pas sur son visage. Elle ne dirait rien. Elle éviterait de vous regarder. Elle vous mettrait à table. Elle vous servirait elle-même.
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