Quand je me suis donnée à vous, ne savais-je pas qu'il faudrait me reprendre ? Si le décrochage a été pénible...

MAURICE : Nous n'en finissions plus. Nos deux cœurs tenaient bien.

BLANCHE : Ils sont aujourd'hui nettement détachés. J'ai mis dans ce petit paquet les dernières racines : quelques photographies, votre acte de naissance que j'avais eu la curiosité de voir... comme vous êtes encore jeune !

MAURICE : On ne vieillit pas avec vous.

BLANCHE : ... Et un livre prêté. Voilà.

MAURICE : À la bonne heure ! c'est un plaisir de rompre avec vous.

BLANCHE : Avec vous aussi.

MAURICE : C'est bien, ce que nous faisons là, très bien. C'est tellement rare de se quitter ainsi ! Nous nous sommes aimés autant qu'il est possible, comme on ne s'aime pas deux fois dans la vie, et nous nous séparons, parce qu'il le faut, sans mauvais procédés, sans la moindre amertume.

BLANCHE : Nous rompons de notre mieux.

MAURICE : Nous donnons l'exemple de la rupture idéale. Ah ! Blanche, soyez certaine que, si jamais quelqu'un dit du mal de vous, ce ne sera pas moi.

BLANCHE : Pour ma part, je ne vous calomnierai que si cela m'est nécessaire... (elle s'assied à droite et Maurice à gauche de la table) Me rendez-vous mon portrait ?

MAURICE : Je le garde.

BLANCHE : Il vaudrait mieux me le rendre ou le déchirer que de le jeter au fond d'une malle.

MAURICE : Je tiens à le garder et je dirai : c'est un portrait d'actrice qui était admirable dans une pièce que j'ai vue.

BLANCHE : Et mes lettres ?

MAURICE : Vos deux ou trois lettres froides de cliente à fournisseur...

BLANCHE : Je déteste écrire.

MAURICE : Je les garde aussi. Elles me défendront au besoin.

BLANCHE : Ne vous énervez pas, et causons paisiblement de votre mariage. Avez-vous vu la petite aujourd'hui ?

MAURICE : Cinq minutes à peine. Elle est tellement occupée par son trousseau ! et le grand jour approche !

BLANCHE : Aime-t-elle les belles choses ?

MAURICE : Oui, quand elles sont bien chères.

BLANCHE : Dites-lui que le bleu est la couleur des blondes. J'ai là une gravure de mode très réussie que je vous prêterai. A-t-elle du goût ?

MAURICE : Elle a celui de la mode.

BLANCHE : Vous devez l'intimider.

MAURICE : Je l'espère.

BLANCHE : Quelle est, en votre présence, son attitude, sa tenue, quelles sont ses manières ?

MAURICE : Celles d'une chaise sous sa housse.

BLANCHE : Sérieusement, la trouvez-vous jolie ?

MAURICE : C'est vous qui êtes jolie.

BLANCHE : C'est d'elle que je parle : la trouvez-vous jolie ?

MAURICE : Jolie et fraîche comme le titre : au Printemps.

BLANCHE : Enfin vous plaît-elle ?... Oh ! ne me ménagez pas !

MAURICE : Elle me déplaît de moins en moins.

BLANCHE : Souvenez-vous que c'est moi qui vous l'ai indiquée.

MAURICE : La piste était bonne.

BLANCHE (découpant un livre) : Je m'en félicite. A-t-elle des caprices ? (Maurice, distrait, ne répond plus. Blanche lui touche le bras.) Qu'est-ce que vous regardez ?

MAURICE : Je m'emplis les yeux. Je fais provision de souvenirs. Toutes ces fleurs donnent à votre salon un air de fête.

BLANCHE : A-t-elle des caprices, des préférences ?

MAURICE : Elle aime tout ce que j'aime.

BLANCHE : Ce sera commode.

MAURICE : Nous n'aurons pas besoin de faire deux cuisines.

BLANCHE : Vous avez de l'esprit, ce soir.

MAURICE : C'est le bouquet de mon dernier feu d'artifice.

BLANCHE : Et cela ne vous gêne pas de parler ainsi d'une jeune fille qui sera votre femme ?

MAURICE : Est-ce à vous de me le reprocher ? Vous savez bien que je parle sur ce ton un peu pour vous être agréable.

BLANCHE : Ne nous attendrissons pas.

MAURICE : Je ne m'attendris pas. Nous devisons de nos petites affaires. Et M. Guireau lui-même pourrait écouter.

BLANCHE : Laissez donc M. Guireau tranquille.

elle se lève, fait quelques pas lentement

MAURICE : Permettez, chère amie, votre mariage m'intéresse autant que le mien ; je ne veux pas avoir l'air plus égoïste que vous, et, puisque mon avenir vous préoccupe, c'est le moins que je m'inquiète du vôtre. Nous nous casons mutuellement.

BLANCHE : Oui... mais parlons d'autre chose.

Elle s'assied à gauche de la cheminée.

MAURICE : Du tout ! Du tout ! Je vous renseigne sur ma future femme, j'exige d'être renseigné sur votre futur mari. Sinon, je croirais que vous avez des pensées de derrière la tête. Cette inquisition réciproque est la meilleure preuve de notre bonne foi. Non seulement je n'ai aucune raison d'être jaloux de M. Guireau, mais encore je voudrais le connaître. Je l'ai aperçu et il m'a produit une excellente impression.