Vient-il vous voir souvent ?
BLANCHE : Une fois par quinzaine, régulièrement.
MAURICE : Bon signe ! c'est un homme périodique et rangé. Comment s'appelle-t-il ?
BLANCHE : Guireau.
MAURICE : Son petit nom ?
BLANCHE : À son âge, on n'a plus de petit nom.
MAURICE : Mais vous, comment l'appelez-vous ?
BLANCHE : Moi, je l'appelle M. Guireau.
MAURICE : Toujours ?
BLANCHE : Oui, toujours. Avez-vous fini de jouer au juge d'instruction ?
MAURICE : Ça m'amuse. Vous pouvez me laisser me divertir un brin.
BLANCHE : À votre aise.
MAURICE : Et que faites-vous ?
BLANCHE : Que voulez-vous qu'on fasse ?
MAURICE : Il ne vous baise que le bout des doigts ?
BLANCHE : À peine. Nous causons. Il parle bien. Il me donne des conseils ; il me met en garde contre les mauvaises relations. De plus, c'est un musicien de première ordre, et, quelquefois, il apporte son violon. (Maurice cherche des yeux) Il le remporte.
MAURICE : Et après, quand la conversation tombe et que la musique se tait ?
BLANCHE : Vous allez trop loin. (elle se lève) J'ai le droit de ne plus répondre.
MAURICE : Vous préférez que je devine ?
BLANCHE : Deviner quoi ? Vous pensez tout de suite... Il y a autre chose dans la vie, et, dès aujourd'hui, je veux être sérieuse et pratique. Oh ! il ne m'en coûtera guère. J'ai aimé ma part, je peux renoncer à l'amour.
MAURICE : Oh ! Oh !
BLANCHE : Mais si. D'ailleurs, M. Guireau sait se tenir. C'est un ami paternel, qui m'aime pour moi, non pour lui, et, sachez-le, il m'inspire une durable sympathie dont il se contente.
Elle s'est assise sur le pouf.
MAURICE : C'est un adorateur frugal.
BLANCHE : J'ai de la chance. Les hommes bien élevés se font rares. M. Guireau conserve les manières du siècle dernier. Il me prévient de ses visites deux jours d'avance.
MAURICE : Et il ne vous adresse pas un seul mot plus enflammé que les autres ?
BLANCHE : Cela vous étonne qu'il me respecte ? Sûr de vivre en compagnie d'une femme point désagréable, qui lui montrera gai visage, l'écoutera avec complaisance, tiendra sa maison, recevra ses amis, le soignera et ne l'ennuiera jamais, M. Guireau ne demande pas que je lui promette davantage.
MAURICE (soupesant le petit paquet) : Et s'il apprenait notre passé ?
BLANCHE : Il n'en laisserait rien voir...
MAURICE (se lève) : Le brave homme ! Il fait une fin. Moi aussi, je fais une fin, et vous aussi, vous faites une fin. Trois personnes finissent d'un seul coup. C'est une catastrophe.
BLANCHE : Sans victime.
MAURICE : Encore une question. Mais je la pose pour rire, comme on dit à une fillette : lequel aimes-tu mieux, ton papa ou ta maman ? (avec gravité) Si je vous priais, renonceriez-vous à M. Guireau ?
BLANCHE : Je trouve qu'au point ou nous en sommes cette question n'a aucun sens.
MAURICE (s'assied en face de Blanche) : Puisque je la pose pour rire, répondez en riant.
BLANCHE : Rappelez-vous qu'un soir, très excité, vous m'offriez de m'épouser, de partir avec moi, de vivre dans une cabane de cantonnier, avec le pain quotidien, d'aller en Algérie où la vie est si bon marché ! Que vous ai-je répondu ?
MAURICE (très lentement) : Que la misère vous épouvantait, que le pain sec vous répugnait, même s'il était de ménage, que vous aviez horreur des déplacements, que vous manquiez de génie colonisateur et ne saviez rien faire de vos dix doigts que des caresses : voilà ce que vous m'avez répondu.
BLANCHE : Vous êtes donc fixé depuis longtemps. Est-ce tout ?
MAURICE : C'est tout. (Blanche se lève et va vers la cheminée) À quand le mariage ?
BLANCHE : Lequel ?
MAURICE : Le vôtre.
BLANCHE : Oh ! rien ne nous presse.
MAURICE : À votre place, je retiendrais une date, par prudence.
BLANCHE : C'est remis à l'année prochaine.
MAURICE : Vous faut-il un hiver pour aérer votre cœur ? Vous avez tort. (il se lève et va vers la cheminée, en faisant le tour de la table) Une fois décidé au mariage, on doit sauter dedans la tête la première, comme moi.
Ils sont adossés à la cheminée, Blanche à gauche, Maurice à droite.
BLANCHE : Le rêve, ce serait peut-être de nous marier tous les deux le même jour.
MAURICE : Pourquoi pas ? Il résulte de mon enquête que j'estime beaucoup M.
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