Guireau.

BLANCHE : De mon côté, il vous apprécierait.

MAURICE : C'eût été piquant de nous présenter, de nous confronter.

BLANCHE : Je n'en chercherai pas l'occasion, mais je ne l'éviterai pas. M. Guireau connaît la vie.

MAURICE : C'est comme la mère de ma fiancée. Elle aussi connaît la vie. Elle comprend que j'aie eu des maîtresses, que je sois éprouvé au feu, et il lui suffit que je rompe au moins la veille de mon mariage.

BLANCHE : Tant pis si sa fille est jalouse du passé !

MAURICE : La mère lui expliquerait que ça ne peut pas se comparer.

BLANCHE : C'est une femme supérieure.

MAURICE : C'est une femme de bon sens, simple et gaie, très gaie. Elle marierait sa fille tous les jours.

Il va s'asseoir à la place qu'occupait Blanche au lever du rideau.

BLANCHE : Vous l'avez conquise ?

MAURICE : Pleinement.

BLANCHE : Pourvu que ça dure !

MAURICE : Oh ! si je ne réponds pas de la fille, je suis sûr de la mère. Quand elle regarde ma photographie, elle dit : « C'est impossible que ce garçon soit un malhonnête homme ; ou je ne suis pas physionomiste, ou il rendra Berthe heureuse. »

BLANCHE : Elle a raison, et je suis persuadée que vous ferez un mari modèle. Vous avez les qualités nécessaires.

MAURICE : Mais, ma chère amie, vous ferez une excellente épouse. Il sera très heureux avec vous.

BLANCHE : Avec vous Berthe sera très heureuse... Pauvre petite ! (un long temps. puis Blanche se rapproche de Maurice. Ils se trouvent assis face à face, séparés par la table.) Je voudrais vous voir lui faire la cour.

MAURICE : Je ne suis pas trop emprunté.

BLANCHE : Vous vous y prenez bien ?

MAURICE : Exactement comme je m'y prenais avec vous.

BLANCHE : Et vous avancez ?

MAURICE : J'ai lieu d'espérer que ça marche. Il me semble même qu'elle me donne moins de peine que vous.

BLANCHE : Vous êtes plus habile, c'est la deuxième fois.

MAURICE : Et vous m'avez mieux résisté.

BLANCHE : Ce n'était pas coquetterie. Je croyais ma vie de femme finie et j'hésitais à me lancer dans une nouvelle aventure de cœur. Les précédentes ne m'avaient pas enrichie. Sans le faire exprès, je n'avais aimé que des pauvres...

MAURICE : Et ce n'était pas avec mes deux mille quatre...

BLANCHE : Aussi, je pensais déjà à quelque mariage raisonnable, et il ne me manquait, je l'avoue, que l'occasion. Voilà pourquoi je vous résistais. Et puis vous paraissiez si jeune ! Vous aviez encore l'air gauche d'un petit soldat. Et vous étiez maigre ! maigre !

MAURICE : J'ai gagné dans ce sens.

MAURICE : Je m'en flatte. Vous avez engraissé sous mon règne, et je vous passe à une autre en bon état.

MAURICE : En bon état de réparations locatives !

BLANCHE : Oh !

MAURICE : Je veux dire que je signerais bien un second bail.

BLANCHE : Moi pas. Vous n'êtes plus le même. J'ai accueilli presque un enfant, et c'est un homme qui s'en va. J'aimais mieux l'enfant. Vous étiez plutôt laid et l'âge vous...

MAURICE : L'âge m'embellit ?

BLANCHE : Non, vous affadit. Vous avez moins de saveur, de lyrisme. Vous disiez poétiquement des choses de l'autre monde. Je vous affirme qu'on aurait cru quelquefois que vous parliez en vers.

MAURICE : Et quelquefois c'en était, mais d'un autre que moi ; je ne faisais que citer, par précaution. Il y en avait, je me souviens, de Musset, dans la déclaration d'amour que je vous ai écrite et que vous avez lue à mon prédécesseur.

BLANCHE : Comment ! vous me croyez capable de cette indélicatesse ?

MAURICE : Je le crois, parce que vous me l'avez dit, plus tard, dans un aveu à l'oreille.

BLANCHE : Vous m'étonnez.

MAURICE : Je vous assure. Il paraît qu'il riait, mon prédécesseur, et vous aussi, vous riiez. Comme c'était mal !

BLANCHE : Très mal.