Il y en avait, je me souviens, de Musset, dans la déclaration d'amour que je vous ai écrite et que vous avez lue à mon prédécesseur.
BLANCHE : Comment ! vous me croyez capable de cette indélicatesse ?
MAURICE : Je le crois, parce que vous me l'avez dit, plus tard, dans un aveu à l'oreille.
BLANCHE : Vous m'étonnez.
MAURICE : Je vous assure. Il paraît qu'il riait, mon prédécesseur, et vous aussi, vous riiez. Comme c'était mal !
BLANCHE : Très mal. J'ai commencé par me moquer de vous : c'est la règle. Et vous auriez fini par vous moquer de moi, si je n'avais pas pris les devants.
MAURICE : C'est la règle.
BLANCHE : D'ailleurs, il y a toujours eu un peu de gaieté dans mes sentiments pour vous. Je m'amusais à vous façonner. Sans me vanter, si vous étiez intelligent, vous êtes devenu, grâce à moi, distingué. Vous avez de la tournure. Vous ne jurez jamais. Vous parlez poliment aux femmes et vous ne gardez plus votre cigarette à la bouche. Vous mettez des gants. Vous soignez vos mains. Vous rangez vos affaires. C'est moi qui vous ai enseigné l'usage des jarretelles et vos chaussettes ne tombent plus sur le soulier.
MAURICE : En échange de ces menus profits, moi, je vous ai appris à mettre les adresses, à mouler un chiffre. Vos trois ressemblaient à des dromadaires.
BLANCHE : Et moi, j'ai changé votre coupe de cheveux, supprimé la raie, et je vous ai appris à faire votre nud de cravate.
MAURICE : Et vous m'avez appris bien d'autres choses encore.
BLANCHE : Oh ! vous n'aviez pas la tête dure.
MAURICE : Je m'appliquais tant !
BLANCHE : Et vous n'étiez pas un ingrat. J'ai de votre gratitude une preuve qui m'est chère et que je garde.
MAURICE : Une preuve ?
BLANCHE : Vous savez que chaque fois que je recevais une lettre de vous, car il m'a été impossible de vous faire passer cette dangereuse manie d'écrire, je la brûlais.
MAURICE : Sans la lire ?
BLANCHE : Je la lisais, mais je la brûlais aussitôt.
MAURICE : La postérité vous jugera.
BLANCHE : Eh bien, je conserve une de ces lettres. Je n'ai pu m'en séparer. J'y tiens trop. C'est le témoignage du bonheur que vous me devez, quelque chose comme le brevet de notre amour et de votre reconnaissance.
MAURICE : Elle doit être longue.
BLANCHE : Elle a quatre pages serrées.
MAURICE : Les grandes lettres viennent du cœur.
BLANCHE : Oh ! celle-là vient de votre cœur. Je la relisais quand vous êtes entré, et je ne pouvais m'empêcher de la lire.
MAURICE : Où est-elle ? Montrez-la...
BLANCHE : Je ne montre jamais mes lettres.
MAURICE : Puisque c'est moi qui l'ai écrite.
BLANCHE : C'est juste. Je veux bien ; ôtez-vous.
Elle se lève, se met à la place de Maurice, ouvre le tiroir et y prend la boîte qu'elle montre à Maurice qui reste debout.
MAURICE : Nougatines de Nevers !
BLANCHE : Je vous défends de rire.
MAURICE : C'est dans cette boîte que vous cachez vos lettres ?
BLANCHE : Je n'y cache que votre lettre, avec deux où trois bijoux de famille.
MAURICE : Je la reconnais à cette enveloppe jaune, à ce papier gratuit. Je l'ai écrite dans un café. Je sortais de chez vous, de vos bras. J'avais aux doigts, qui venaient de courir le long de votre beauté, un reste de frémissement. Je n'ai pas dû soigner mon écriture.
BLANCHE : Le meilleur de vous est là.
MAURICE : Oui, je me rappelle que j'ai éprouvé sur cette table de marbre froid, où mes mains achevaient de s'éteindre, le besoin de vous rendre des actions de grâces, de vous les chanter.
BLANCHE : Il n'y a ni date, ni nom, ni petit nom.
MAURICE : Je me rappelle, je me rappelle. Ça commence tout de suite, comme un hymne.
BLANCHE (elle lit) : « Vous êtes belle et vous êtes bonne. Je vous adore tout entière, le corps, le cœur et l'âme avec les dépendances... »
Elle rit.
MAURICE (interrompt) : Quel beau livre on écrirait sur nos amours !
BLANCHE (désignant la lettre) : Il n'y aurait qu'à copier. (elle lit, en ayant l'air de ne détacher que des passages de la lettre) « Vous êtes si indulgente pour les défauts d'autrui, qu'on aime les vôtres ; vous ne vantez point votre esprit. Vous souhaitez qu'on dise de vous : c'est une femme exquise, et non : c'est une femme de mérite. » Et ça ! « Vous ne médisez des autres que s'ils ont commencé les premiers. S'il vous arrive quelquefois de mentir... » Cela m'arrive ?
MAURICE : Oh ! très peu, et innocemment comme on se teint les cheveux, parce que vous croyez que c'est une grâce de plus.
BLANCHE (lit) : « Vous aimez la toilette parce que vous lui allez, le théâtre lorsqu'on y rit, et le monde, car une femme de votre âge ne peut pas vivre comme un loup... » Oh ! Ça ! « Vous êtes paresseuse, en toute justice, parce qu'il vous semble que le rôle d'une belle femme consiste à rester belle et qu'on lui doit, sans même qu'elle le demande, les habits, l'argent de poche, la nourriture et le logement... »
MAURICE : Il y a ça ?
Elle lui passe la lettre.
BLANCHE : Tenez.
MAURICE : C'est vrai...
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