« Vous ne vous mettez jamais en colère ; vous craignez comme la foudre les explosions d'amour, et vous céderiez tout de suite, sans discussion, pour avoir la paix, à l'homme qui s'avancerait sur vous, les yeux injectés de sang, tandis que son visage émettrait une lumière verte... »

Ils rient tous les deux.

BLANCHE : Ça, c'est exagéré. Je prierais poliment le monsieur de prendre la porte. Mais c'était aimable de me l'écrire. Après ?

Il continue de lire la lettre, appuyé au fauteuil de Blanche.

MAURICE : « Et vous aimez qu'on vous aime finement, qu'on vous offre parfois deux sous de violettes, un baba au rhum, un bout de dentelle, une promenade en voiture et qu'on ait pour vous ces petites attentions sans prix qui font plus chaud au cœur des femmes que le duvet à leur cou... »

BLANCHE : Oui, j'aime qu'on m'aime ainsi.

MAURICE (il lit avec une émotion croissante et Blanche peu à peu se détourne) : « À peine ai-je eu le temps, cette nuit, de vous embrasser. Je n'ai pas assez, pas comme je désirais, pris possession de vous. De même qu'un visiteur timide repasse, une fois dehors, ce qu'il devait dire, je vous parcours des cheveux aux pieds et je me dis : c'est là spécialement que j'aurais dû poser les lèvres, là aussi, là encore, et je n'aurais pas dû, belle et bonne amie, relever un seul instant la tête... » (il laisse tomber sa lettre) Vous êtes la femme que je rêvais... Et je vous quitte !

BLANCHE (se lève) : Maurice, Maurice, vous vous écartez du texte de la lettre.

MAURICE (prenant les mains de Blanche) : Blanche, Blanche, je vous ai aimée de toute mon ardeur, et je crois qu'en ce moment même vous êtes ma seule, ma vraie femme.

BLANCHE : Là ! Là ! Je vous prie, mon ami, vous vous échauffez. Vous allez dire des bêtises, et, comme je ne vous permettrai pas d'en faire, à quoi bon ?

MAURICE : Blanche, un mot, et j'envoie promener la petite et sa fortune, les convenances et mon avenir : je lâche tout.

BLANCHE : Vous feriez ça, vous ?

MAURICE : Tout de suite, essayez...

BLANCHE (met ses deux mains sur les épaules de Maurice) : Merci. Ça fait toujours plaisir. Mais je ne veux pas dire le mot. Je me tais. Je me tairai obstinément.

MAURICE : Tes yeux.

BLANCHE : Pas même mon front.

MAURICE : Tes lèvres, vite.

BLANCHE : Rien.

MAURICE : Alors, j'aurai tout.

BLANCHE : Faut-il sonner ?

MAURICE : Sonner qui ? Tes serviteurs sont absents ; ta femme de ménage ne vient que le matin.

BLANCHE : Je me défendrai donc toute seule.

MAURICE : Contre moi !

BLANCHE : Vous ne me faites pas peur.

MAURICE : J'ai soif de te reprendre.

BLANCHE : Je vous jure que vous vous en irez avec la soif.

MAURICE : Blanche, je te désire une dernière fois. Ce serait délicieux. Ce serait original ; ce serait comique.

BLANCHE : Ce serait tordant.

MAURICE : Blanche, écoute !

BLANCHE : Oui, j'entends, ça aurait une saveur fine, un petit goût d'adultère avant la lettre, avant la lettre de faire part de nos mariages. Vous m'offrez bonnement la belle en amour, puis nous nous donnerions la main, comme des camarades, et, d'un bond, vous passeriez d'une femme à l'autre. C'est une trouvaille, cette idée-là.

MAURICE : C'est une idée comme une autre.

BLANCHE : Ah ! tenez, vous êtes ridicule... vous êtes malpropre.

MAURICE : Ah ! flûte ! C'est vous qui êtes ridicule ! En voilà des façons ! Je vous demande à qui nous ferions du mal et qui le saurait.

BLANCHE : Moi !

MAURICE : Oui, ridicule et mauvaise ! Vous reculez par orgueil puéril, pour avoir l'air digne et parce que vous êtes vexée. (Blanche hausse les épaules) Certainement vexée de mon mariage... comme s'il n'était votre oeuvre ! Car vous m'y avez poussé, malgré moi. Ainsi vous excusiez le vôtre préparé sournoisement. Il fallait m'éloigner, M. Guireau attendait à la porte.

BLANCHE : Maurice, je vous en supplie !

MAURICE : La preuve que je dis la vérité, c'est que, moi, je vous sacrifierais sur l'heure, sans regret, une fortune dont je me moque, et que vous !...

BLANCHE : Cela prouve seulement que vous vous égarez, Maurice, et que j'ai de la raison pour nous deux.

MAURICE : Oh ! bien, bien, cessez de pleurer...

BLANCHE : Je ne pleure pas.

MAURICE : ... De vous tordre les bras ; puisque je vous choque, je me retire. Après tout, j'y tenais, parce que je croyais que vous ne demandiez pas mieux. Mais je n'y tenais pas tant que ça. Enfin, je n'y tiens plus. Bonjour, au revoir, bonne nuit, adieu. Bien des choses à M. Guireau.

Il fait ses préparatifs de faux départ qui consistent à prendre son chapeau et sa canne et à les poser pour les reprendre encore et les reposer.

BLANCHE (avec une mélancolie douloureuse, sans regarder Maurice) : Fallait-il finir si misérablement ! C'est avec des insultes que vous me quittez, quand vous êtes venu, ce soir que rien ne vous y forçait, en bon garçon désireux d'être loyal et tendre jusqu'au bout. Nous étions fiers l'un de l'autre.