Elle
affola tous les hommes en se sauvant avec un jeune garçon sans le
sou, un rien du tout, monsieur, subalterne dans un régiment
d’infanterie ou quelque chose de semblable. Certainement, je me
rappelle la chose comme si elle était arrivée hier. Le pauvre
diable fut tué en duel à Spa quelques mois après leur mariage. Il y
eut une vilaine histoire là-dessus. On dit que Kelso soudoya un bas
aventurier, quelque brute belge, pour insulter son beau-fils en
public, il le paya, monsieur, oui il le paya pour faire cela et le
misérable embrocha son homme comme un simple pigeon. L’affaire fut
étouffée, mais, ma foi, Kelso mangeait sa côtelette tout seul au
club quelque temps après. Il reprit sa fille avec lui, m’a-t-on
dit, elle ne lui adressa jamais la parole. Oh oui ! ce fut une
vilaine affaire. La fille mourut dans l’espace d’une année. Ainsi
donc, elle a laissé un fils ? J’avais oublié cela. Quelle
espèce de garçon est-ce ? S’il ressemble à sa mère ce doit
être un bien beau gars.
– Il est très beau, affirma lord Henry.
– J’espère qu’il tombera dans de bonnes mains, continua le vieux
gentleman. Il doit avoir une jolie somme qui l’attend, si Kelso a
bien fait les choses à son égard. Sa mère avait aussi de la
fortune. Toutes les propriétés de Selby lui sont revenues, par son
grand-père. Celui-ci haïssait Kelso, le jugeant un horrible
Harpagon. Et il l’était bien ! Il vint une fois à Madrid
lorsque j’y étais… Ma foi ! j’en fus honteux. La reine me
demandait quel était ce gentilhomme Anglais qui se querellait sans
cesse avec les cochers pour les payer. Ce fut toute une histoire.
Un mois durant je n’osais me montrer à la Cour. J’espère qu’il a
mieux traité son petit-fils que ces drôles.
– Je ne sais, répondit lord Henry. Je suppose que le jeune homme
sera très bien. Il n’est pas majeur. Je sais qu’il possède Selby.
Il me l’a dit. Et… sa mère était vraiment belle !
– Margaret Devereux était une des plus adorables créatures que
j’aie vues, Harry. Je n’ai jamais compris comment elle a pu agir
comme elle l’a fait. Elle aurait pu épouser n’importe qui,
Carlington en était fou : elle était romanesque, sans doute. Toutes
les femmes de cette famille le furent. Les hommes étaient bien peu
de chose, mais les femmes, merveilleuses !
– Carlington se traînait à ses genoux ; il me l’a dit
lui-même. Elle lui rit au nez, et cependant, pas une fille de
Londres qui ne courût après lui. Et à propos, Harry, pendant que
nous causons de mariages ridicules, quelle est donc cette farce que
m’a contée votre père au sujet de Dartmoor qui veut épouser une
Américaine. Il n’y a donc plus de jeunes Anglaises assez bonnes
pour lui ?
– C’est assez élégant en ce moment d’épouser des Américaines,
oncle Georges.
– Je soutiendrai les Anglaises contre le monde entier !
Harry, fit lord Fermor en frappant du point sur la table.
– Les paris sont pour les Américaines.
– Elles n’ont point de résistance m’a-t-on dit, grommela
l’oncle.
– Une longue course les épuise, mais elles sont supérieures au
steeple-chase.
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