Pas très grand. (Il avait cinq pieds cinq pouces, et une figure couperosée.) Il avait le teint vif. Je me rappelle qu'il buvait souvent du madère; mais demande donc à ta tante Ann. Qu'est-ce que faisait son pèrè ? Il – euh! – il s'occupait de la terre, dans le Dorsetshire, sur la côte. James avait une fois voulu connaître par lui-même cet endroit d'où ils sortaient. Il avait trouvé deux vieilles fermes, un chemin de charrette aux ornières enfoncées dans la terre rose, qui menait à un moulin près de la plage; une petite église grise dont les murs à l'extérieur s'étayaient sur des arcs-boutants, une chapelle plus petite et plus grise encore. La rivière qui faisait tourner le moulin se dispersait en une douzaine de ruisselets blancs d'écume ; des cochons rôdaient en quête de nourriture autour de cet estuaire. Un peu de brume flottait sur le paysage. Dans ce creux probablement, de dimanche en dimanche pendant des centaines d'années, les Forsyte primitifs n'avaient rien demandé de mieux que de se promener, les pieds enfoncés dans la boue, la face tournée vers la mer.

– Il n'y a pas grand-chose à tirer de là, dit-il. Une petite terre; c'est vieux comme le temps!

Cette vieillesse était une consolation.

Le vieux Jolyon, en qui une invincible sincérité surgissait quelquefois, disait de ses ancêtres :

– Des yeomen, – de la très petite bière, je suppose.

Pourtant il répétait le mot « yeomen » comme s'il y trouvait un réconfort.

Ils avaient si bien mené leurs barques, ces Forsyte, qu'à présent ils jouissaient tous, comme on dit, d' « une certaine position ». Ils avaient des actions dans toute sorte d'affaires, pas encore toutefois – sauf Timothy – dans les consolidés, car par-dessus tout, ils avaient horreur des placements à trois pour cent. De plus, ils collectionnaient des tableaux et soutenaient volontiers telles institutions charitables qui pourraient être utiles à leurs domestiques en cas de maladie. De leur père, le maçon, ils avaient hérité un talent spécial pour remuer la brique et le mortier.

Peut-être à l'origine avaient-ils appartenu à quelque secte d'esprit simple; mais maintenant, suivant le cours naturel des choses, ils étaient membres de l'Église d'Angleterre et envoyaient assez régulièrement leurs femmes et leurs enfants aux églises à la mode de la capitale. Un doute sur la sincérité de leur foi les eût peinés, surpris. Quelques-uns payaient pour avoir dans l'église des bancs réservés, exprimant ainsi de la façon la plus pratique leur sympathie pour l'enseignement du Christ.

Leurs résidences s'espaçaient autour du Parc à intervalles réguliers. A Stanhope Place, il y avait le vieux Jolyon; à Park Lane, les James; Swithin vivait à Hyde Park Mansions, dans la splendeur solitaire d'un appartement décoré de bleu et d'orange – il ne s'était jamais marié, ah non I par exemple ! – Les Soames avaient leur nid près de Knightsbridge, les Roger étaient fixés dans Prince's Garden. (Roger était ce Forsyte exceptionnel qui avait conçu et réalisé l'engagement de ses quatre fils dans une profession nouvelle.)

– Achetez et gérez des maisons, pas de meilleure affaire, disait-il volontiers. Moi, je n'ai jamais fait que ça!

Il y avait encore les Hayman Mme Hayman était la seule mère de famille parmi les soeurs Forsyte – dans une maison au sommet de Campden Hill, une maison démesurée comme une girafe, si bien qu'il fallait se démancher le cou pour en voir le haut. Il y avait les Nicholas habitant à Ladbroke Grove une maison spacieuse. Enfin le dernier, mais non le moindre, Timothy, résidait dans Bayswater Road où Ann, Juley et Hester vivaient sous sa protection.

Cependant, James, ayant longtemps rêvassé, demandait à présent à son frère et son hôte combien celui-ci avait payé la nouvelle maison de Montpellier Square. Lui-même, il avait l'oeil depuis deux ans sur une maison qui était par là, mais on lui en demandait un tel prix !

Le vieux Jolyon raconta le détail de son acquisition.

– Vingt-deux ans de bail à courir! répéta James, c'est la maison que je guettais; tu l'as payée trop cher!

Le vieux Jolyon fronça les sourcils.

– Ce n'est pas que j'en aie envie, reprit James hâtivement; à ce prix-là elle ne ferait pas mon affaire. Soames la connaît cette maison, eh bien! il te dira que c'est trop cher. Son opinion n'est pas sans valeur.

– Je me soucie de son opinion comme d'une guigne, dit le vieux Jolyon.

– A ta guise, marmotta James; mais c'est une opinion sérieuse. Au revoir. Nous allons en voiture à Hurlingham. On me dit que June part pour le pays de Galles. Tu seras un peu seul demain. Qu'est-ce que tu vas faire ? Tu devrais venir dîner avec nous!

Le vieux Jolyon refusa. Il descendit jusqu'à la porte d'entrée pour reconduire les James. Il les regarda monter en voiture.