Soyez prompt comme les événements; montrez-vous de feu avec le feu; menacez qui vous menace; faites tête aux terreurs qui veulent vous épouvanter. Ainsi les inférieurs, qui, l'oeil sur les grands, les prennent pour modèles de leur conduite, deviendront grands à votre exemple et revêtiront l'esprit intrépide du courage. Allons, brillez comme le dieu de la guerre quand il se prépare à tenir la plaine. Montrez-vous plein d'audace et d'une ambitieuse confiance. Quoi! faudra-t-il qu'ils viennent chercher le lion dans son antre, qu'ils viennent l'y effrayer, l'y faire trembler? Oh! qu'on ne dise pas cela! Parcourez le pays, courez chercher le mécontentement hors de vos portes, et luttez avec lui avant de le laisser arriver si près.
LE ROI JEAN.--Le légat du pape vient de me quitter: je me suis heureusement réconcilié avec lui, et il m'a promis de congédier l'armée que commande le dauphin.
LE BATARD.--Oh! traité honteux! Quoi! lorsqu'une armée envahissante aborde dans notre pays, nous enverrons des paroles pacifiques, nous aurons recours aux compromis, aux insinuations, aux pourparlers, à de honteuses trêves? Un enfant sans barbe, un étourdi élevé dans la soie, viendra braver nos champs de bataille, et témoigner son courage sur ce sol belliqueux, insultant les airs de ses enseignes vainement déployées, et il ne trouvera aucune résistance? Non: courons aux armes, mon prince. Peut-être que le cardinal ne pourra vous obtenir la paix; mais s'il l'obtient, qu'on puisse dire au moins qu'ils ont vu que nous avions l'intention de nous défendre.
LE ROI JEAN.--Eh bien! prenez la conduite de nos affaires actuelles.
LE BATARD.--Allons donc et courage. Je suis bien sûr que nous sommes encore en état de faire face à des ennemis plus terribles.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Une plaine près de Saint-Edmonsbury 22.
Entrent en armes LOUIS, SALISBURY, MELUN,
PEMBROKE, BIGOT, soldats.
Note 22:(retour) Shakspeare n'a point ici déterminé le lieu de la scène; mais d'après l'intention annoncée des lords de rejoindre Louis à Saint-Edmonsbury, et ce que dit ensuite Melun des serments prononcés en ce lieu, les derniers éditeurs ont cru pouvoir y placer cette scène.
LOUIS, à Melun.--Sire de Melun, faites faire une copie de ceci, gardez-la soigneusement pour nous en conserver la mémoire; remettez l'original à ces seigneurs, afin que lorsque nous y aurons apposé nos noms, eux et nous, nous puissions, en lisant cet écrit, savoir à quoi nous nous sommes engagés par serment, et que nous gardions notre foi ferme et inviolable.
SALISBURY.--Elle ne sera jamais violée de notre côté; mais, noble dauphin, bien que nous jurions de servir vos desseins avec un zèle libre et une fidélité volontaire, cependant croyez-moi, prince, je ne puis me réjouir de voir que les plaies de l'État demandent pour appareil une révolte déshonorante, et que, pour guérir l'ulcère invétéré d'une seule blessure, il en faille ouvrir plusieurs. Oh! cela désole mon âme de prendre ce fer à mon côté pour faire des veuves, et dans ce pays, ô ciel! qui répète le nom de Salisbury pour lui demander du secours et une honorable délivrance! Mais la maladie de notre temps est telle que, pour rendre à nos droits la vigueur et la santé, nous n'avons d'autre instrument que la main de la dure injustice et du coupable désordre.--Et n'est-ce pas une pitié, ô mes tristes amis, que nous les fils, les enfants de cette île, soyons nés pour voir une heure aussi triste, pour fouler son sein chéri à la suite d'une armée étrangère et remplir les rangs de ses ennemis?--Oh! j'ai besoin de me retirer à l'écart, et de pleurer sur la honte d'une pareille nécessité.--Nous servons de cortége à la noblesse d'un pays éloigné, et nous suivons des couleurs inconnues dans ces lieux. Quoi! dans ces lieux? O ma nation! si tu pouvais t'éloigner? Si les bras de Neptune qui t'enserrent pouvaient t'emporter loin de la connaissance de toi-même, pour t'enraciner sur des rivages infidèles? Alors ces deux armées chrétiennes pourraient unir dans une veine d'alliance ce sang qu'anime la colère, et ne le répandraient pas d'une manière si contraire au bon voisinage.
LOUIS.--Tu montres en ceci un noble caractère, et les grandes affections qui luttent dans ton sein font un tremblement de terre de générosité. Oh! quel noble combat tu as livré entre la nécessité et un loyal respect! Laisse-moi essuyer cette honorable rosée qui trace sur tes joues son cours argenté. Mon coeur s'est attendri aux larmes d'une femme; c'est une inondation ordinaire, mais l'effusion de ces pleurs mâles, cette pluie que chasse de son souffle la tempête de l'âme, étonnent mes yeux et me frappent de plus de stupeur que si je voyais sur la voûte élevée des cieux se dessiner de toutes parts de brûlants météores. Lève ton front, illustre Salisbury, et chasse avec un grand coeur cette tempête: renvoie ces pleurs aux yeux d'enfants qui n'ont jamais vu le géant du monde dans ses fureurs, qui n'ont jamais rencontré d'autres aventures que les fêtes animées de l'ardeur de la jeunesse, de la joie et du bavardage. Viens, viens, car tu enfonceras ta main dans la bourse de l'opulente prospérité, aussi avant que Louis lui-même.--Et vous aussi, nobles qui unissez à mes forces le nerf des vôtres. (Entre Pandolphe avec sa suite.)--Et tenez, il me semble qu'un ange a parlé, voyez le saint légat s'avancer vers nous à grands pas; pour nous donner une garantie de la part du ciel et pour attacher à nos actions, par sa voix sacrée, le nom de justice.
PANDOLPHE.--Salut, noble prince de France. Voici ce que j'ai à vous dire: Le roi Jean s'est réconcilié avec Rome; son âme est rentrée sous le pouvoir de la sainte Église, de la grande métropole, du siége de Rome, contre lesquels il était si fort révolté. Ainsi, repliez vos étendards menaçants, et adoucissez l'esprit sauvage de la guerre furieuse; que, comme un lion nourri à la main, elle repose tranquillement aux pieds de la paix, et n'ait plus rien d'effrayant que l'apparence.
LOUIS.--Il faut que Votre Grandeur me le pardonne, mais je ne retournerai point en arrière. Je suis de trop bon lieu pour appartenir à personne, pour être aux ordres comme agent secondaire, comme serviteur utile, comme instrument, de quelque puissance souveraine qui soit au monde: c'est vous qui le premier avez, entre ce royaume châtié et moi rallumé de votre souffle les charbons éteints de la guerre; c'est vous qui avez apporté le bois pour nourrir ce feu: il est beaucoup trop grand maintenant pour que le faible vent qui l'a allumé puisse l'éteindre. Vous m'avez enseigné à voir la justice sous sa véritable face; vous m'avez instruit de mes droits sur ce royaume. Quoi! vous seul avez fait entrer dans mon coeur cette entreprise, et vous venez me dire aujourd'hui: «Jean a fait sa paix avec Rome!» Et que me fait cette paix à moi? Moi, par les droits de mon lit nuptial, le jeune Arthur mort, je réclame ce pays comme m'appartenant; et maintenant qu'il est à moitié conquis, il faudra que je recule parce que Jean a fait sa paix avec Rome! Suis-je l'esclave de Rome? De quel argent Rome a-t-elle contribué? quels soldats m'a-t-elle fournis? quelles munitions m'a-t-elle envoyées pour aider à cette entreprise? N'est-ce pas moi qui en porte le fardeau? Quels autres que moi et ceux qui obéissent à mon appel donnent leurs sueurs à cette cause et soutiennent cette guerre? N'ai-je pas entendu ces insulaires crier vive le roi! au moment où je côtoyais leurs villes? n'ai-je pas les plus belles cartes dans le jeu pour gagner cette facile partie où se joue une couronne? Et il faudra que j'abandonne la mise que j'ai déjà gagnée! Non, non, sur mon âme, c'est ce qu'on ne dira jamais.
PANDOLPHE.--Vous ne considérez que les dehors de cette affaire.
LOUIS.--Dehors ou dedans, je ne m'en retournerai point que mon entreprise ne soit couronnée de toute la gloire qui a été promise à mes vastes espérances avant que j'eusse rassemblé cette brillante élite de la guerre, que j'eusse choisi dans le monde entier ces ardents courages, pour marcher le front haut à la conquête, et conquérir le renom jusque dans la gueule du péril et de la mort. (Une trompette sonne.)--De quoi vient nous sommer cette vigoureuse trompette?
(Entre le Bâtard avec une suite.)
LE BATARD.--En vertu du droit des gens, je dois avoir audience; je suis envoyé pour vous parler.--Monseigneur de Milan, je viens de la part du roi apprendre comment vous avez traité pour lui; et, selon ce que vous me répondrez, je saurai dans quelle étendue et dans quelles limites je dois renfermer mes paroles.
PANDOLPHE.--Le dauphin est trop obstiné dans ses refus, et ne veut accorder aucune trêve à mes instances. Il répond nettement qu'il ne quittera point les armes.
LE BATARD.--Par tout le sang qu'a jamais pu respirer la fureur, le jeune homme a bien répondu. Maintenant écoutez notre roi d'Angleterre, car c'est ainsi que Sa Majesté parle par ma bouche: il est tout prêt, et c'est bien raison qu'il le soit; il se rit de cette singerie d'attaque sans aucune espèce d'étiquette, de cette mascarade militaire, de cette imprudente orgie, de cette audace imberbe et de ces bataillons d'enfants; et il est bien préparé à chasser, le fouet à la main, de l'enceinte de ses domaines, cette guerre de nains, ces pygmées en armes. Cette main qui a eu la force de vous fustiger à votre porte même et de vous faire sauter sur les toits, qui vous a obligés de plonger comme des seaux dans vos puits les plus cachés, de vous tapir sous la litière du plancher de vos écuries, de demeurer enfermés comme des pions dans des coffres et des caisses, de vous tenir serrés contre les pourceaux, et de chercher la douce sûreté dans les tombeaux et les prisons, frissonnant et tremblant au seul cri des corbeaux de votre pays dont vous preniez la voix pour celle d'un Anglais armé; cette main victorieuse qui vous a châtiés dans vos maisons sera-t-elle ici plus faible? Non; sachez que notre vaillant monarque a pris les armes, et que, comme l'aigle, il plane au-dessus de son aire pour fondre sur l'importun qui approche de son nid.--Et vous, hommes dégénérés, rebelles ingrats; vous, Nérons sanguinaires, qui déchirez le sein de l'Angleterre, votre bonne mère, rougissez de honte: vos femmes, vos filles au pâle visage, semblables à des amazones, s'avancent d'un pas léger à la suite des tambours; elles ont changé leurs dés en gantelets de fer, leurs aiguilles en lances, et à la douceur de leur coeur ont succédé des inclinations martiales et sanguinaires.
LOUIS.--Finis là tes bravades, et tourne le dos en paix. Nous convenons que tu peux l'emporter sur nous en injures. Bonsoir; nous tenons notre temps pour trop précieux pour le perdre avec un pareil braillard.
PANDOLPHE.--Permettez-moi de parler.
LE BATARD.--Non, c'est moi qui vais parler.
LOUIS.--Nous n'écouterons ni l'un ni l'autre.--Battez le tambour, et que la voix de la guerre établisse la légitimité de nos droits et de notre présence.
LE BATARD.--Oui, sans doute, vos tambours vont crier quand vous les battrez, et vous en ferez autant quand vous serez battus. Que le bruit d'un de tes tambours réveille seulement un écho, et dans le même instant un autre tambour déjà suspendu te renverra un son tout aussi bruyant que le tien. Fais-en retentir un autre, et un second ira aussi bruyant que le tien ébranler l'oreille du firmament, et insulter le tonnerre à la bouche sonore. Ne se fiant pas à ce légat qui boite des deux côtés et dont il s'est servi par jeu plutôt que par nécessité, le belliqueux Jean est là tout près: sur son front siège la mort aux côtes décharnées, dont l'occupation sera aujourd'hui de se régaler de milliers de Français.
LOUIS.--Battez, tambours, que nous allions chercher ce danger.
LE BATARD.--Et tu le trouveras, dauphin, n'en doute pas.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène est toujours en Angleterre.--Un champ de bataille.
Alarmes.--Entrent LE ROI JEAN ET HUBERT.
LE ROI JEAN.--Comment la journée tourne-t-elle pour nous? Oh! dis-le-moi, Hubert.
HUBERT.--Mal, j'en ai peur. Comment se trouve Votre Majesté?
LE ROI JEAN.--Cette fièvre, qui me tourmente depuis si longtemps, m'accable tout à fait. Oh! mon coeur est malade.
(Entre un messager.)
LE MESSAGER.--Seigneur, votre brave cousin, Faulconbridge, prie Votre Majesté de quitter le champ de bataille, et de lui faire savoir par moi la route que vous prendrez.
LE ROI JEAN.--Dis-lui du côté de Swinstead, à l'abbaye de ce lieu.
LE MESSAGER.--Ayez bon courage: le puissant secours que le dauphin attendait ici a fait naufrage, il y a trois nuits, sur les sables de Godwin.
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