Tallemant des Réaux).» Aussi les statuts contra rixantes sont-ils sans cesse renouvelés. Du reste, on sait quel rôle les coups de bâton, par exemple, jouoient alors dans les relations de la vie sociale.
Note 19:
(retour) Amis et protecteurs de Scarron.
Note 20:
(retour)
Lettre de M. Anjubault.
Un critique a reproché à Scarron, comme un des plus graves défauts du Roman comique, d'y avoir fait preuve d'une observation trop générale, dont la plupart des traits, ne portant pas avec eux un cachet particulier de vérité locale, pourroient aussi bien s'appliquer au Paris du temps qu'à la province. Rien que parce qui précède, on voit combien ce reproche est peu fondé. On peut dire que les moeurs dont il s'est fait le peintre ont le caractère essentiellement provincial, par contraste avec Molière, qui est le peintre des moeurs de Paris. La province, et le Mans en particulier, qui étoit alors à trois journées de marche environ de la capitale, offroit par là même plus de caractères tranchés, de types originaux et indigènes, qu'aujourd'hui.
Comme beaucoup des oeuvres que j'ai passées en revue dans la première partie de cette Notice, le Roman comique tombe par endroits dans la satire; il ne fuit pas l'épigramme et la parodie, même littéraire, qui se trahissent dès les premières lignes. J'ai relevé dans mes notes plusieurs traits malins de l'auteur--beaucoup moins nombreux toutefois que dans le Roman bourgeois de Furetière, et surtout dans le Berger extravagant de Sorel--contre les invraisemblances et les ridicules des romans chevaleresques ou héroïques. Mais, outre ces épigrammes de détail, il y en a une plus générale répandue dans tout le corps de l'ouvrage et qui en fait l'essence même. Plusieurs des personnages du Roman comique semblent conçus et tracés dans un système de parodie: La Rancune est le traître, le Ganelon du livre; Ragotin est la charge du héros galant et valeureux, du chevaleresque servant des dames; les grands coups d'épée sont remplacés par de grands coups de pieds et de poing, etc.
Mais voyez la contradiction! Tout cela n'empêche pas l'auteur de tomber, comme la plupart de ses confrères, dans deux ou trois des défauts les plus habituels aux romans dont il se moque: car, sans parler de quelques longues conversations, il a intercalé dans son roman quatre nouvelles et l'histoire de Destin, qui s'interrompt et se reprend à plusieurs reprises. Ces récits, trop nombreux, sont amenés brusquement, sans lien, sans préparation, sans rentrer en rien dans l'ouvrage; en outre, ils ont le tort de se ressembler presque tous par le fond, et quelques uns d'exiger une attention très soutenue, si l'on veut ne se point embrouiller dans cette intrigue enchevêtrée et un peu confuse
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. Toutes ces histoires, qui ne sont même pas des épisodes, pouvoient d'autant mieux se retrancher, au moins en partie, que le roman proprement dit, assez court par lui-même, ne comportoit pas de si longs et de si nombreux hors-d'oeuvre, tout à fait en disproportion avec l'ouvrage, dont ils ralentissent la marche. C'est là que s'est réfugié l'élément romanesque, bien que l'écrivain comique s'y trahisse toujours à quelques phrases, sous ce fouillis d'aventures et ces étranges imbroglios à l'espagnole, qui les font ressembler à des tragi-comédies de Rotrou, de Scudéry ou de Boisrobert.
Note 21:
(retour) Voir surtout, dans l'histoire de Destin, l'endroit où il s'agit de l'enlèvement de mademoiselle de Saldagne par Verville.
Du reste, une considération à laquelle Scarron n'a sans doute pas expressément songé peut servir à justifier ce mélange de l'intrigue à l'observation, fait dans une mesure, avec une convenance et un bonheur plus ou moins contestables. D'une part, la vie de salon au XVIIe siècle, l'usage des réunions et des coteries avoient dû naturellement amener l'emploi et accréditer l'usage de ces continuels récits, comme celui des longues conversations; de l'autre, on étoit encore trop près des grands romans romanesques pour se plaire aux romans d'observation pure et simple, débarrassés des fracas d'une intrigue curieuse et embrouillée; il falloit faire passer l'étude de moeurs sous le couvert de ces aventures auxquelles on avoit habitué les lecteurs. C'est ce que ne fit pas Furetière dans le Roman bourgeois: aussi ce dernier ouvrage, malgré le nom, l'esprit et la malignité de l'auteur, eut-il peu de succès, tandis que le Roman comique de Scarron en eut beaucoup. Il est vrai qu'on peut encore indiquer une autre raison peut-être de cette différence de succès. Le roman de Furetière s'est astreint à observer simplement la vie privée et les moeurs bourgeoises de la famille; il a voulu se renfermer dans le côté intime et domestique, se donnant tort ainsi, non pas, je suis loin de le dire, aux yeux de la postérité, mais aux yeux des lecteurs du jour, curieux d'émotions plus vives, de sujets moins connus, de tableaux plus variés. Scarron, au contraire, comme l'auteur de Francion, quoiqu'à un moindre degré, s'en tint surtout à ce côté des moeurs qui prêtoit le plus à l'aventure, au burlesque, à la parodie; son observation court les tripots, les auberges, les théâtres, les grandes routes, au lieu de demeurer au coin du foyer. Tout en restant juste et vraie, elle est plus en dehors, par la nature même du sujet.
Quant au style du Roman comique, il est vif et d'une rapidité singulière; il va sans appuyer, mais en marquant d'un mot caractéristique les hommes et les choses qu'il veut peindre. Ce style ne respire pas, tant il a hâte de courir au but, bien autrement net et précis que celui des romans de mademoiselle de Scudéry. Malgré ses négligences et ses incorrections, il a plus de prestesse, moins de lourdeur et d'embarras dans les tournures. La langue de Scarron est remarquable par le naturel, le trait, la rapidité, la clarté même en général, sans avoir une force ou une élévation que ne comportoient ni le genre choisi, ni le talent de l'auteur; elle est en progrès sur celle de beaucoup de contemporains, du moins parmi les romanciers. Pour mieux en apprécier le mérite, il ne faut pas oublier que le Roman comique
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précéda les Provinciales, dont la première ne parut qu'en 1656. Tout cela explique son légitime succès. Au reste, chaque production de Scarron étoit fort recherchée, à cause de sa bonne humeur
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, et, après la parodie des poètes dans ses vers burlesques, on devoit être curieux de voir la parodie des romanciers dans ce livre. Généralement, et c'est là un éloge qu'il ne faut pas omettre en parlant de Scarron et d'un roman comique, il n'a pas cherché à être plaisant aux dépens de la décence, et, sauf en d'assez rares endroits, son ouvrage est relativement écrit sur un ton convenable. La seconde partie surtout, composée après son mariage
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, se ressent, tout le monde l'a remarqué, de l'heureuse influence de madame Scarron. Il faut se garder pourtant d'exagérer la portée de cette remarque, car c'est dans cette seconde partie que se trouve l'épisode de madame Bouvillon; mais on y trouve moins de trivialités grotesques, de plaisanteries peu ragoûtantes, et même le style est meilleur et renferme moins de termes anciens et passés. En effet, au témoignage de plusieurs contemporains, en particulier de Segrais (Mém. anecd., II, p. 84, 85), sa femme lui servoit à la fois de secrétaire et de critique, et son influence est visible aussi dans les poésies de Scarron venues après son mariage.
Note 22:
(retour) La première partie est de 1651; la deuxième ne parut qu'en 1657, mais le privilége est de 1654.
Note 23:
(retour) Voir le Burlesque malade, ou les Colporteurs affligés, etc. Paris, Loyson, 1660.
Note 24:
(retour) Scarron épousa Françoise d'Aubigné, non en 1650 ou 1651, comme beaucoup l'ont dit, mais en 1652.
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