La poussière des ans reposait en couche épaisse
sur le sol.
« Et nous y voilà ! dit Sherlock Holmes, en mettant sa
main sur le mur en pente. C’est une tabatière qui donne sur le
toit. Je puis la pousser ; le toit apparaît descendant en
pente douce. Voici donc le chemin par lequel le Numéro Un est
entré. Voyons si nous pouvons trouver d’autres marques qui
l’identifieraient. »
Il approcha la lampe du plancher et, pour la seconde fois cette
nuit-là, je vis son visage prendre une expression de surprise
choquée. Suivant son regard, je sentis ma peau se hérisser sous mes
vêtements. Car le plancher était couvert d’empreintes de pieds
nus ; elles étaient claires, parfaitement délimitées, mais
leur taille ne dépassait pas la moitié de l’empreinte d’un pied
normal.
« Holmes ! murmurai-je. Un enfant aurait donc fait
cette chose horrible ? »
Il avait tout de suite retrouvé sa maîtrise de soi.
« J’ai été surpris sur le moment ! dit-il. Pourtant il
n’y a rien là que de très naturel. Ma mémoire a eu une défaillance,
car j’aurais pu le prévoir. Nous n’avons plus rien à découvrir ici.
Redescendons.
– Quelle est donc votre théorie concernant ces empreintes ?
interrogeai-je lorsque nous fûmes revenus dans la pièce du bas.
– Mon cher Watson, analysez donc un peu vous-même ! dit-il
avec un soupçon d’impatience dans la voix. Vous connaissez mes
méthodes. Mettez-les en application. Il sera intéressant de
comparer nos résultats.
– Je ne puis concevoir quoi que ce soit qui s’accorde avec les
faits, répondis-je.
– Tout vous paraîtra bientôt très clair, jeta-t-il avec
désinvolture. Je pense qu’il n’y a plus rien d’important ici, mais
je vais m’en assurer. »
Il nettoya sa loupe, sortit son mètre, et se mit à parcourir la
pièce à quatre pattes ; il mesurait, comparait, examinait, son
long nez fin frôlant le parquet ; ses yeux enfoncés dans les
orbites brillaient d’un éclat nacré. Ses mouvements étaient
rapides, silencieux et furtifs ; ceux d’un limier cherchant
une piste. Et je ne pus m’empêcher de penser qu’il eût fait un bien
dangereux criminel s’il avait tourné sa sagacité et son énergie
contre la loi, au lieu de les exercer pour sa défense. Il
n’arrêtait pas de murmurer inintelligiblement en travaillant.
Finalement, il explosa en un grand cri d’allégresse.
« Nous avons le hasard avec nous ! s’écria-t-il. Nous
ne devrions plus avoir d’ennui, maintenant. Notre Numéro Un a eu la
malchance de marcher dans la créosote. On peut apercevoir le
contour de son petit pied ici, à côté de ce puant gâchis. La
bonbonne est cassée, comprenez-vous ? Et son contenu s’est
répandu.
– Et alors ? demandai-je.
– Et bien, nous le tenons, c’est tout ! Je connais un chien
qui suivrait une odeur aussi tenace au bout du monde. Nous le
tenons : c’est aussi mathématique qu’une règle de trois… Mais,
qu’est-ce que j’entends ? Les représentants accrédités de la
loi, assurément ! »
D’en bas montaient des voix bruyantes : des pas lourds
résonnèrent ; la porte d’entrée se referma avec fracas.
« Avant qu’ils arrivent, posez votre main sur le bras de ce
pauvre garçon, dit Holmes. Maintenant là, sur sa jambe. Que
sentez-vous ?
– Les muscles sont aussi durs que du bois, répondis-je.
– Tout à fait. Ils sont dans un état d’extrême contraction qui
dépasse de beaucoup l’ordinaire Ricor Mortis. Ajoutez à
cela la distorsion du visage, ce sourire d’Hippocrate, ou Risus
Sardonicus, comme l’appelaient les anciens. Quelle conclusion,
docteur ?
– Mort provoquée par un alcaloïde végétal très puissant,
répondis-je sans hésiter. Une substance comme la strychnine qui
provoquerait le tétanos.
– C’est aussi l’idée qui m’est venue, aussitôt que j’ai vu
l’hypertension des muscles faciaux. En entrant dans la chambre,
j’ai cherché tout de suite le moyen par lequel le poison avait
pénétré dans le corps.
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