La trompe était façonnée comme un trinôme avec l'apex vers la terre. De celle-ci deux paires d'ailes se déployaient - chaque aile presque cent yards [3] de longueur - une paire était posée par dessus l'autre, et tout recouvert lourdement par des écailles métalliques, chaque écaille apparemment quelques dix ou douze pieds de diamètre. J'observai que la plus haute et la plus basse rangée d'ailes étaient connectées par une solide chaîne. Mais la principale particularité de cette horrible chose était la représentation d'une Tête de Mort, qui recouvrait presque la totalité de la surface de sa poitrine, et qui était tracée diligemment en un blanc éclatant, sur le sombre dessous du corps, comme si elle avait été dessinée là soigneusement par un artiste. Pendant que je regardais ce terrifiant animal, et plus spécialement l'apparence de sa poitrine, avec une sensation d'horreur et de crainte - avec un sentiment d'un mal prochain, que je trouvais impossible à apaiser par aucun effort de la raison, j'aperçus les énormes mâchoires à l'extrémité de la trompe s'écarter soudainement, et de celle-ci il parvint un son si fort et si expressif de douleur, qu'il frappa mes nerfs tel le glas, et quand le monstre disparut au pied de la montagne, je tombai tout de suite, en m'évanouissant, par terre. En recouvrant, ma première réaction, bien sûr, fut d'avertir mon ami de ce que j'avais vu et entendu - et je peux à peine expliquer quelle sensation de répugnance ce fut qui, à la fin, agit pour m'en empêcher. À la longue, un soir, quelques trois ou quatre jours après l'événement, nous étions assis ensemble dans la chambre où j'avais vu l'apparition - moi occupant le même siège, près de la fenêtre, et lui allongé sur un sofa à proximité. L'association du lieu et de l'heure me conduisirent à lui faire le récit du phénomène. Il m'écouta jusqu'à la fin - au début il riait de bon cœur - et ensuite il revint sur une attitude excessivement grave, comme si mon déraisonnement eût été une chose au-delà du soupçon. À ce moment j'eus encore une vue distincte du monstre - sur lequel, avec un cri de terreur absolue, je dirigeais maintenant son attention. Il semblait passionné - mais maintint qu'il ne voyait rien - malgré que je lui montrais minutieusement le parcours de la créature, pendant que celle-ci se frayait un chemin en descendant par la côte nue de la colline. J'étais maintenant immesurablement alarmé, car je considérais la vision ou bien comme un présage de la mort, ou, pire, comme le signe avant-coureur d'une attaque de folie. Je me jetai passionnément en arrière sur la chaise, et pendant quelques instants j'enfouis mon visage dans mes mains. Quand j'ouvris les yeux, l'apparition n'était plus visible. Mon hôte, néanmoins, avait récupéré à quelque degré le calme de son expression, et m'interrogea très rigoureusement au sujet de la configuration de la créature vue en vision. Quand je l'eus pleinement satisfait sur ce topo, il soupira profondément, comme libéré de quelque poids intolérable, et continua à parler, avec ce que je considérai un calme cruel, de différents points de philosophie spéculative, qui en ce temps avait constitué un sujet de discussion entre nous. Je me souviens de son insistance très spéciale (parmi d'autres choses) sur l'idée que la principale source d'erreur dans toutes les recherches humaines reposait sur la responsabilité de la compréhension à sous-estimer ou à surévaluer l'importance d'un objet, par un simple mauvais mesurage de sa proximité. « Pour estimer proprement, par exemple, » dit-il, « l'influence à exercer sur l'humanité tout entière par la complète diffusion de la Démocratie, la distance de l'époque à laquelle la dite diffusion pourrait être possiblement accomplie ne devrait pas manquer à constituer un article de l'estimation. Cependant peux-tu me citer un seul écrivain traitant du sujet de gouverner qui n'ait jamais réfléchi sur cette branche particulière du sujet et qui vaille la peine d'être discuté du tout ? » Ici il fit une pause pendant un moment, s'approcha d'un panneau de bibliothèque, et en tira un sur une synopsis courante d'Histoire Naturelle. Me demandant donc de changer de place avec lui, de manière à ce qu'il puisse mieux lire l'imprimerie du volume, il prit mon fauteuil près de la fenêtre, et, ouvrant le livre, résuma son discours sur un ton très ressemblant à celui d'avant. « Mais ton excessive minutie, » dit-il, « à décrire le monstre, jamais je ne l'aurais eu dans mon pouvoir pour te démontrer ce que c'était. En premier lieu, laisse moi te lire un récit d'écolier sur le genre Sphinx, de la famille Crepuscularia, de l'ordre des Lepidoptera, de la classe des Insecta - ou insectes. Voilà ce que dit le récit : « Quatre ailes membraneuses recouvertes de petites écailles peu colorées d'apparence métallique ; bouche formant une trompe enroulée, produite par un rallongement des mâchoires, sur les côtés desquelles se trouvent les rudiments des mandibules et des papilles inférieures ; les ailes inférieures attachées aux supérieures par un poil raide, antennes en forme de trèfles allongés ; prismatique ; abdomen pointu. Le Sphinx à tête-de-mort a occasionné beaucoup de frayeurs parmi les ignorants, à certains moments, par le type de cri mélancolique qu'il pousse, et l'insigne de mort qu'il porte sur son corset. » Ici il referma le livre et s'inclina en avant sur la chaise, en se plaçant exactement dans la position que j'avais occupée au moment de voir « le monstre ». « Ah, le voilà, » s'exclama-t-il à présent - il est en train de remonter la côte de la colline, et j'admets qu'il est une créature d'un effet très remarquable. Toutefois, elle n'est en aucune manière ni aussi grande ni aussi distante comme tu l'as imaginée ; car le fait est que, alors qu'elle se tortille en remontant par le fil, que quelque araignée a ouvré le long de la fenêtre à guillotine, je trouve qu'elle est à peu près d'un sixième de pouce [4] dans sa longueur maximale, et aussi à peu près à un sixième de pouce distante de la pupille de mon œil. »

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