En attendant, je vous jure de ne rien faire pour chercher à vous revoir.

– Et de ne rien faire pour connaître mon nom ?

– Rien. Je vous le jure.

Elle lui tendit la main.

– Adieu, dit-elle.

Il répondit :

– Au revoir.

Elle s’éloigna. Sur le seuil de la porte, elle se retourna et parut hésiter. Il se tenait immobile auprès de la cheminée. Elle dit encore :

– Adieu.

Une seconde fois il répliqua :

– Au revoir, maman Coralie.

Tout était dit entre eux pour l’instant. Il ne tenta plus de la retenir.

Elle s’en alla.

Lorsque la porte de la rue fut refermée et seulement alors, le capitaine Belval se dirigea vers une des fenêtres. Il aperçut la jeune femme qui passait entre les arbres, toute menue dans les ténèbres. Son cœur se serra :

La reverrait-il jamais ?

– Si, je la reverrai ! s’écria-t-il. Mais demain peut-être. Ne suis-je pas favorisé par les dieux ?

Et prenant sa canne, il partit, comme il le disait, du pilon droit.

Le soir, après avoir dîné dans un restaurant voisin, le capitaine Belval arrivait à Neuilly. L’annexe de l’ambulance, jolie villa située au début du boulevard Maillot, avait vue sur le bois de Boulogne. La discipline y étant assez relâchée, le capitaine pouvait rentrer à toute heure de la nuit, et les hommes obtenaient aisément des permissions de la surveillante.

– Ya-Bon est là ? demanda-t-il à celle-ci.

– Oui, mon capitaine, il joue aux cartes avec son flirt.

– C’est son droit d’aimer et d’être aimé, dit-il. Pas de lettres pour moi ?

– Non, mon capitaine, un paquet seulement.

– De la part de qui ?

– C’est un commissionnaire qui l’a apporté, sans rien dire que ces mots : « Pour le capitaine Belval. » Je l’ai déposé dans votre chambre.

L’officier gagna sa chambre, qu’il avait choisie au dernier étage, et vit le paquet sur la table, ficelé et enveloppé d’un papier.

Il l’ouvrit. C’était une boîte. Et cette boîte contenait une clef, une grosse clef vêtue de rouille, et qui était d’une forme et d’une fabrication évidemment peu récentes.

Que diable cela signifiait-il ? La boîte ne portait aucune adresse ni aucune marque. Il supposa qu’il y avait là quelque erreur qui s’expliquerait d’elle-même, et il mit la clef dans sa poche.

– Assez d’énigmes pour aujourd’hui, se dit-il, couchons-nous.

Mais, comme il allait tirer les grands rideaux de sa fenêtre, il aperçut à travers les vitres, par-dessus les arbres du bois de Boulogne, un jaillissement d’étincelles qui s’épanouissait assez loin, dans l’ombre épaisse de la nuit.

Et il se souvint de la conversation qu’il avait surprise au restaurant et de cette pluie d’étincelles dont avaient parlé ceux mêmes qui complotaient l’enlèvement de maman Coralie.

 

 

3

 

La clef rouillée

 

À l’âge de huit ans, Patrice Belval, qui jusqu’alors avait habité Paris avec son père, fut expédié dans une école française de Londres, d’où il ne sortit que dix ans plus tard.

Les premiers temps, il reçut chaque semaine des nouvelles de son père. Puis, un jour, le directeur de l’école lui apprit qu’il était orphelin, que les frais de son éducation étaient assurés, et que, à sa majorité, il toucherait, par l’intermédiaire d’un solicitor anglais, une somme de deux cent mille francs environ, qui composaient l’héritage paternel.

Deux cent mille francs, cela ne pouvait suffire à un garçon dont les goûts se révélèrent dispendieux et qui, envoyé en Algérie pour son service militaire, trouva le moyen, n’ayant pas encore d’argent, de faire vingt mille francs de dettes.

Il commença donc par dissiper l’héritage, puis se mit au travail. Esprit ingénieux, actif, sans vocation spéciale, mais apte à tout ce qui exige de l’initiative et de la résolution, plein d’idées, sachant vouloir et sachant exécuter, il inspira confiance, trouva des capitaux et monta des affaires.

Affaires d’électricité, achats de sources et de cascades, organisation de services automobiles dans les colonies, lignes de bateaux, exploitations minières ; en quelques années, il improvisa une douzaine d’entreprises qui, toutes, réussirent.

La guerre fut pour lui une aventure merveilleuse. Il s’y jeta à corps perdu. Sergent de troupes coloniales, il gagna ses galons de lieutenant sur la Marne. Le 15 septembre, atteint au mollet, il était amputé le jour même. Deux mois après, on ne sait à la suite de quelles intrigues, lui, le mutilé, il montait comme observateur dans l’avion d’un de nos meilleurs pilotes. Un shrapnell mettait fin, le 10 janvier, aux exploits des deux héros. Cette fois le capitaine Belval, blessé grièvement à la tête, était évacué sur l’ambulance de l’avenue des Champs-Élysées. Vers la même époque, celle qu’il devait appeler maman Coralie entrait également à cette ambulance comme infirmière.

L’opération du trépan, qu’on dut lui faire, réussit. Mais il y eut des complications. Il souffrit beaucoup, sans jamais se plaindre, cependant, et en soutenant de sa bonne humeur ses compagnons de misère, qui, tous, éprouvaient pour lui une véritable affection. Il les faisait rire. Il les consolait et les remontait avec sa verve et avec sa manière toujours heureuse d’envisager les pires situations. Aucun d’eux n’oubliera jamais la façon dont il accueillit un fabricant qui venait lui proposer une jambe articulée.

– Ah ! ah ! une jambe articulée ! Et pour quoi faire, monsieur ? Sans doute pour tromper le monde et pour qu’on ne s’aperçoive pas que je suis amputé, n’est-ce pas ? Par conséquent, monsieur, vous considérez que c’est une tare d’être amputé et que moi, officier français, je dois m’en cacher comme d’une chose honteuse ?

– Pas du tout, mon capitaine.