Reste à savoir, maintenant, ce que veut dire cette pluie d’étincelles. Un moment, comme les zeppelins nous ont rendu une première visite, il y a une huitaine de jours, j’ai supposé... Mais tu m’écoutes ?
– Oui...
– J’ai supposé que c’était un signal de trahison ayant pour objet une seconde visite de zeppelins...
– Oui...
– Mais non, imbécile, pas oui. Comment veux-tu que ce soit un signal pour zeppelins, puisque, selon la conversation surprise par moi, le signal a déjà eu lieu deux fois avant la guerre ? Et puis, d’ailleurs, est-ce réellement un signal ?
– Non.
– Comment non ? Alors qu’est-ce que ce serait, triple idiot ? Tu ferais mieux de te taire et de m’écouter, d’autant que tu ne sais même pas de quoi il s’agit... Moi non plus, du reste, et j’avoue que j’y perds mon latin. Dieu ! que tout cela est compliqué, et que je suis peu qualifié pour résoudre de tels problèmes !
Patrice Belval fut encore plus embarrassé quand il déboucha de la rue de La Tour. Plusieurs chemins s’offraient à lui. Lequel choisir ? En outre, quoiqu’il se trouvât au centre même de Passy, aucune étincelle ne luisait dans le ciel obscur.
– Sans doute est-ce terminé, dit-il, et nous en sommes pour nos frais. C’est de ta faute, Ya-Bon. Si tu ne m’avais pas fait perdre des minutes précieuses à t’arracher des bras de ta bien-aimée, nous arrivions à temps. Je m’incline devant les charmes d’Angèle, mais enfin...
Il s’orienta, de plus en plus indécis. L’expédition entreprise au hasard, et sans informations suffisantes, n’amenait décidément aucun résultat, et il songeait à l’abandonner, lorsque, à ce moment, une automobile surgit de la rue Franklin, venant ainsi du Trocadéro, et une personne qui était à l’intérieur, cria par le tube acoustique :
– Obliquez à gauche... et tout droit ensuite, jusqu’à ce que je vous avertisse.
Or, il sembla au capitaine Belval que cette voix avait les mêmes inflexions étrangères que l’une des voix entendues le matin au restaurant.
– Serait-ce l’individu au chapeau gris ? murmura-t-il, c’est-à-dire un de ceux qui ont essayé d’enlever maman Coralie ?
– Oui, grogna Ya-Bon.
– N’est-ce pas ? Le signal des étincelles explique sa présence dans ces parages. Il s’agit de ne pas lâcher cette piste-là. Galope, Ya-Bon.
Mais il était inutile que Ya-Bon galopât. La voiture – une limousine de maître – avait enfilé la rue Raynouard, et le capitaine put arriver lui-même au moment où elle s’arrêtait à trois ou quatre mètres du carrefour, devant une grande porte cochère, située sur la gauche.
Cinq hommes descendirent.
L’un deux sonna.
Il s’écoula trente à quarante secondes. Puis une deuxième fois Patrice perçut la vibration du timbre. Les cinq hommes massés sur le trottoir attendaient. Enfin, après un troisième coup de timbre, une petite entrée pratiquée dans l’un des vantaux fut entrebâillée. Il y eut une pause. On parlementait. La personne qui avait ouvert devait demander des explications. Mais soudain deux des hommes appuyèrent fortement sur le vantail qui céda sous la poussée et livra passage à toute la bande. Un bruit violent. La porte se referma. Aussitôt le capitaine étudia les lieux.
La rue Raynouard est un ancien chemin de campagne qui serpentait jadis parmi les maisons et les jardins du village de Passy, au flanc des collines que baigne la Seine. Elle a gardé en certains endroits, de plus en plus rares, hélas ! un air de province. De vieux domaines la bordent. De vieilles demeures s’y cachent au milieu des arbres. On y conserve la maison que Balzac habita.
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