Il fit un effort à gauche : la clef tourna. Il poussa : la porte s’ouvrit.
– Entrons, dit-il.
Le nègre ne bougea pas. Patrice devina sa stupeur. Au fond, sa stupeur, à lui, n’était pas moindre. Par quel prodige inouï cette clef était-elle précisément la clef de cette porte ? Par quel prodige la personne inconnue qui la lui avait envoyée avait-elle pu deviner qu’il serait à même, sans autre avertissement, d’en user ?... Par quel prodige ?... Mais Patrice avait résolu d’agir sans chercher le mot des énigmes qu’un hasard malicieux semblait prendre plaisir à lui poser.
– Entrons, répéta-t-il victorieusement.
Des branches d’arbre lui fouettèrent le visage et il se rendit compte qu’il marchait sur de l’herbe et qu’un jardin devait s’étendre devant lui. L’obscurité était si grande qu’on ne distinguait pas les allées dans la masse noire des pelouses et qu’après avoir marché pendant une ou deux minutes, il se heurta à des rochers sur lesquels glissait une nappe d’eau.
– Zut ! maugréa-t-il, me voilà tout mouillé. Sacré Ya-Bon !
Il n’avait pas fini de parler qu’un aboiement furieux se fit entendre dans les profondeurs du jardin et, tout de suite, le bruit de cet aboiement se rapprocha avec une extrême rapidité. Patrice comprit qu’un chien de garde, averti de leur présence, se ruait vers eux, et, si brave qu’il fût, il frissonna, tellement cette attaque en pleine nuit avait quelque chose d’impressionnant. Comment se défendre ? Un coup de feu les eût dénoncés et, cependant, il n’avait pas d’autre arme que son revolver.
La bête se précipitait, puissante, à en juger par le fracas de sa galopade, qui évoquait la course d’un sanglier dans les taillis. Elle devait avoir cassé sa chaîne, car un bruit de ferraille l’accompagnait. Patrice s’arc-bouta. Mais à travers les ténèbres, il vit que Ya-Bon passait devant lui pour le protéger, et, presque aussitôt, le choc eut lieu.
– Hardi, Ya-Bon, pourquoi ne m’as-tu pas laissé en avant ? Hardi, mon gars... me voilà.
Les deux adversaires avaient roulé sur l’herbe. Patrice se courba, cherchant à secourir le nègre. Il toucha le pelage d’une bête puis les vêtements de Ya-Bon. Mais tout cela se convulsait à terre en un bloc si uni et combattait avec une telle frénésie que son intervention ne pouvait servir à rien.
D’ailleurs, la lutte fut brève. Au bout de quelques minutes, les adversaires ne bougeaient plus. Un râle confus sortait du groupe qu’ils formaient.
– Eh bien ? eh bien, Ya-Bon ? murmurait le capitaine, anxieux.
Le nègre se releva en grognant. À la lueur d’une allumette, Patrice vit qu’il tenait au bout de son bras, de son bras unique avec lequel il lui avait fallu se défendre, un énorme chien qui râlait, serré à la gorge par cinq doigts implacables. Une chaîne brisée pendait de son collier.
– Merci, Ya-Bon, je l’ai échappé belle. Maintenant tu peux le lâcher. Il doit être inoffensif.
Ya-Bon obéit. Mais il avait sans doute serré trop fort. Le chien se tordit un instant sur l’herbe, poussa quelques gémissements et demeura immobile.
– Le pauvre animal, dit Patrice, il n’avait pourtant fait que son devoir en se jetant sur les cambrioleurs que nous sommes. Faisons le nôtre, Ya-Bon, qui est beaucoup moins clair.
Quelque chose qui brillait comme la vitre d’une fenêtre dirigea ses pas et le conduisit, par une série d’escaliers taillés dans le roc et de plates-formes superposées, à la terrasse sur laquelle était construite la maison. De ce côté également, toutes les fenêtres, rondes et hautes comme celles de la rue, se barricadaient de volets. Mais l’un deux laissait filtrer cette lumière qu’il avait aperçue d’en bas.
Ayant ordonné à Ya-Bon de se cacher dans les massifs, il s’approcha de la façade, écouta, perçut le bruit confus de paroles, constata que la solide fermeture des volets ne lui permettait ni de voir ni d’entendre, et parvint ainsi, après la quatrième fenêtre, jusqu’aux degrés d’un perron.
Au bout de ce perron, une porte...
« Puisque, se dit-il, on m’a envoyé la clef du jardin, il n’y a aucune raison pour que la porte qui donne de la maison dans le jardin ne soit pas ouverte. »
Elle était ouverte. À l’intérieur, le bruit des voix fut plus net, et le capitaine se rendit compte que ce bruit lui arrivait par la cage de l’escalier, et que cet escalier, qui semblait desservir une partie inhabitée de la maison, était vaguement éclairé au-dessus de lui.
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