À l’ambulance les infirmières et les docteurs vous appellent Mme Coralie. Vos blessés prononcent maman. Quel est votre nom de femme ou de jeune fille ? Êtes-vous mariée ou veuve ? Où habitez-vous ? On l’ignore. Chaque jour, aux mêmes heures, vous arrivez et vous vous en allez par la même rue. Quelquefois, un vieux serviteur à longs cheveux gris et à barbe embroussaillée, un cache-nez autour du cou, des lunettes jaunes sur les yeux, vous accompagne ou vient vous chercher. Quelquefois aussi, il vous attend, assis sur la même chaise, dans la cour vitrée. On l’a interrogé, mais il ne répond à personne.
« Je ne sais donc rien de vous, qu’une chose, c’est que vous êtes adorablement bonne et charitable, et que vous êtes aussi, je puis le dire, n’est-ce pas ? adorablement belle. Et c’est peut-être, maman Coralie, parce que toute votre existence m’est inconnue que je me l’imagine si mystérieuse, et, en quelque sorte, si douloureuse, oui, si douloureuse ! Vous donnez l’impression de vivre dans la peine et dans l’inquiétude. On vous sent toute seule. Personne ne se dévoue à votre bonheur et à votre sécurité. Alors j’ai pensé... il y a longtemps que je pense à cela et que j’attends l’occasion de vous l’avouer... j’ai pensé que vous aviez sans doute besoin d’un ami, d’un frère qui vous guide et qui vous défende. Me suis-je trompé, maman Coralie ? »
À mesure qu’il parlait, on eût dit que la jeune femme se resserrait en elle-même et qu’elle mettait un peu plus de distance entre elle et lui, comme si elle n’eût pas voulu qu’il pénétrât dans ces régions secrètes qu’il dénonçait. Elle murmura :
– Si, vous vous êtes trompé. Ma vie est toute simple, je n’ai pas besoin d’être défendue.
– Vous n’avez pas besoin d’être défendue ! s’écria-t-il avec une animation croissante. Et alors ces hommes qui ont essayé de vous enlever ? Ce complot ourdi contre vous ? Ce complot dont vos agresseurs redoutent tellement la découverte qu’ils vont jusqu’à supprimer celui d’entre eux qui s’est laissé prendre ? Alors, quoi, ce n’est rien tout cela ? Je me trompe en affirmant que vous êtes environnée de périls ? que vous avez des ennemis d’une audace extraordinaire ? qu’il faut vous défendre contre leurs entreprises ? et que, si vous n’acceptez pas l’offre de mon assistance... eh bien... eh bien...
Elle s’obstinait dans le silence, de plus en plus lointaine, presque hostile.
L’officier frappa du poing le marbre de la cheminée et, se penchant sur la jeune femme :
– Eh bien, dit-il, achevant sa phrase d’un ton résolu, eh bien, si vous n’acceptez pas l’offre de mon assistance, moi, je vous l’impose.
Elle secoua la tête.
– Je vous l’impose, répéta-t-il fermement. C’est mon devoir et c’est mon droit.
– Non, fit-elle à demi-voix.
– Mon droit absolu, reprit le capitaine Belval, et cela pour une raison qui prime toutes les autres et qui me dispense même de vous consulter, maman Coralie.
– Laquelle ? dit la jeune femme en le regardant.
– C’est que je vous aime.
Il lui jeta ces mots nettement, non pas comme un amoureux qui risque un aveu timide, mais comme un homme fier du sentiment qu’il éprouve et heureux de le déclarer.
Elle baissa les yeux en rougissant, et il s’écria, d’une voix joyeuse :
– Je ne vous l’envoie pas dire, hein, maman ? Pas de tirades enflammées, pas de soupirs, ni de grands gestes, ni de mains jointes. Non, trois petits mots seulement que je vous adresse sans me mettre à genoux. Et cela m’est d’autant plus facile que vous le saviez. Mais oui, maman Coralie, vous avez beau prendre vos airs farouches, vous savez bien que je vous aime, et vous le savez depuis aussi longtemps que moi. Nous l’avons vu naître ensemble, ce sentiment-là, lorsque vos petites mains adorées touchaient ma tête sanglante. Les autres me torturaient. Vous, c’étaient autant de caresses. Autant de caresses aussi, vos regards de compassion. Autant de caresses, vos larmes qui tombaient parce que je souffrais. Mais, d’abord, est-ce qu’on peut vous voir sans vous aimer ? Vos sept malades de tout à l’heure sont amoureux de vous, maman Coralie. Ya-Bon vous adore.
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