Les routes constellées de petits paillassons ensanglantés : des hérissons écrasés. Giraudoux explique ce massacre en disant que tous les hérissons mâles habitent le côté gauche des routes, tous les hérissons femelles le côté droit, et qu’ils se font écraser au cours de leurs visites nuptiales. Ce qui est plus sûr, c’est le rôle de leur réflexe catastrophique : en cas d’alerte, ils s’arrêtent et se mettent en boule, la dernière chose à faire quand survient une voiture. Il faut ajouter qu’ils sont possédés par une bougeotte irrésistible. Régulièrement un hérisson apparaît dans mon jardin. Je lui offre une assiette de lait. Il la sent et accomplit un parcours en cercles concentriques avant de la trouver. Se gave sous l’œil impuissant et dégoûté du chat. Mais rien ne le retient. Le lendemain, il a disparu.

 

B.F., végétarien, me dit : « La viande, c’est l’homme, le poisson, c’est la femme, deux choses que j’ai éliminées de ma vie. » Lanza del Vasto m’avait dit un jour en me voyant couper un bifteck saignant : « Vous mangez des plaies. »

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Chat. Premier printemps de Sacha. Il disparaît des nuits entières et revient le nez et les oreilles en sang. Comme il a toujours aimé suçoter tout ce qu’on lui offre de suçotable – doigt, lobe de l’oreille, etc. – Françoise M., férue de psychanalyse, observe qu’il est passé du stade oral au stade génital sans transition, c’est-à-dire sans passer par la phase de latence qui sépare chez l’homme la petite enfance de la puberté. « C’est sans doute, conclut-elle, que les chats n’ont pas d’inconscient. » Je jette le trouble dans cette belle construction en faisant remarquer que pour chasser, il n’en continue pas moins à suçoter, ce qui dénote une superposition de la phase orale et de la phase génitale…

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Eichendorff : Il y a au fond de chaque chose une mélodie qui sommeille. Elle s’éveillera si tu trouves les paroles qui conviennent.

 

Le mot latin liber signifie libre, enfant, livre, écorce et vin. Ces cinq significations possèdent à coup sûr une connotation commune, difficile à cerner, mais profonde, émouvante et belle.

 

M.G. (quatorze ans) n’est jamais allé chez le coiffeur. Je lui dis : « Sais-tu ce qui va arriver ? Ta mère va t’asseoir sur une chaise dans la cuisine, elle va prendre ses grands ciseaux et, une fois de plus, te faire une perruque de clown ! » Cette perspective pourtant habituelle le révolte, mais le coiffeur se situe à ses yeux entre le dentiste et le chirurgien. Finalement je parviens à l’entraîner chez Jean-Louis, le coiffeur chic de Chevreuse. Après une coupe au rasoir, il sort éberlué et très inquiet des réactions des copains. Mais la portée initiatique de l’opération est évidente. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge certains jeunes garçons promis à un avenir prestigieux ne devaient pas se faire couper un seul cheveu. L’aventure de Samson tondu par Dalila habite le subconscient de tous les hommes. Il est d’ailleurs remarquable que les femmes restent une très rare exception dans les « salons-messieurs ». J’ai posé la question à la patronne d’un salon pour dames. Elle m’a fait une réponse aussi surprenante que péremptoire : « Les femmes ne peuvent pas couper les cheveux des hommes, m’a-t-elle dit, parce que c’est trop difficile. » Sous ce prétexte technique se cache à coup sûr un tabou mythologique.

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Parlant de son amour « incestueux » pour Hippolyte, la Phèdre de Racine dit :

Ce n’est pas quelque ardeur en mes veines cachée,

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

Ce qui veut dire : quand l’amour est en cause, évitez les interprétations médico-biologiques, et faites appel à la mythologie. Ceci pour les Diafoirus en blouse blanche qui veulent réduire les sentiments à des affaires de gènes ou de sécrétions endocrines.

 

Simone Weil : Un des plaisirs les plus délicieux de l’amour humain : servir l’être aimé sans qu’il le sache. Je songe à cette question : Est-ce que ça te regarde, si je t’aime ? que j’attribuais à J. Cocteau et que j’ai trouvée récemment dans Nietzsche (Was geht dich’s an, wenn ich dich liebe ? Der Fall Wagner). Il est vrai que Nietzsche cite cette phrase comme une absurdité totale.

 

Je m’enfonce dans l’hiver à reculons, les yeux fixés sur cet été dont les corps furent si beaux.

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L’homme du Verseau, incarné par le petit Manneken-Pis de Bruxelles.