Scatologie liquide. Paradis de la bonne miction, abondante, dorée, gazouillante. Enfer de la mauvaise miction (calculs, prostate, blocage des reins, etc.). L’homme qui pisse dans son jardin, le milieu de son corps s’unit à la terre par un cordon liquide. Communion. Le chien qui marque son territoire en levant la patte sur toute sa frontière. Urine + fécondité = purin. Suicide du Verseau : en urinant sur un rail électrifié, le courant remonte le jet et foudroie le pisseux.
Enfants. Une amie, dont le mari aime les garçons, me raconte qu’elle a volé pour le lui offrir l’un des coussinets bleus ornés d’une étoile de David sur lesquels les élèves du collège de Eton posent leurs genoux nus.
Invité à la prison de Fresnes pour m’entretenir avec des détenus, je dis à mes amis : « Demain je vais en prison. » Je constate qu’ils ne s’étonnent pas outre mesure. Visiblement chacun pense : ça devait arriver. Le malentendu me fait voir en eux mon image patibulaire.
Extrême jeunesse des détenus qui m’ont fait venir : la majorité a moins de trente ans. Odeur d’encaustique. « Mise en mouvement » à mon arrivée. Ils circulent dix par dix accompagnés par un surveillant. Intelligence brillante de certains. Niveau nettement plus élevé que celui des Rotary ou Lions-clubs où j’ai été invité.
Parole de mère : « Je déteste ton livre (Les Météores) mais je déteste encore plus ceux qui le détestent. »
Mains. On appelait jadis quadrumanes certains mammifères doués de quatre mains qu’on préfère désigner aujourd’hui sous le nom de primates, et que le bon peuple, lui, a toujours appelés des singes. Étrange paradoxe qui veut que l’homme de son côté soit appelé non un bimane, mais un bipède. Comme si le privilège de l’homme, c’était d’avoir non seulement deux mains, mais surtout deux pieds, ce qui le situe à mi-chemin du chien quadrupède et du singe quadrumane.
Ainsi donc si l’homme doit une bonne part de son humanité à ses deux mains, ce serait pour lui tomber au niveau du singe, si un caprice de la nature le dotait de deux autres mains à la place de ses pieds. Des mains donc… mais point trop n’en faut ! En vérité, ce qui fait l’homme, c’est la station debout. Comme les membres supérieurs de l’homme sont très brefs, en comparaison de ses membres inférieurs, ses mains se trouvent surélevées, sublimées, projetées dans l’espace. Le pied apporte à la main un précieux contrepoids, une sorte d’alibi qui la dispense – et même lui interdit – de participer à la marche. Toute la dignité humaine se lit dans cet édifice qui superpose un tronc doué de bras courts et de mains à des jambes fines, droites, rapides, terminées par des pieds.
C’est pourquoi il n’est pas d’art qui célèbre la main plus noblement que la danse. On parle volontiers des pieds des danseurs et des danseuses. Ils renvoient toujours dans chacune de leurs positions et figures aux mains, ces petites images d’eux-mêmes, ailées et aériennes.
La démonstration inverse s’administre par la rupture de la solidarité de la main et du corps. C’est l’image de la main coupée, vision d’horreur, et pire encore : la main coupée demeurée vivante, et qui court sur ses doigts. On a reconnu l’araignée dont la malédiction est d’être assimilée à une petite main sèche, amputée, mais douée d’une vélocité de cauchemar.
Main et corps. Pour elle, active, déliée, curieuse, exploratrice, sensuelle, titilleuse, tantôt caressante, tantôt cruelle, le corps est un objet privilégié, son territoire de prédilection, son souffre-douleur, son joui-plaisir, son jouet.
Masturber = manus turbare. Troubler avec la main. On disait aussi jadis : se manier.
Mais il n’y a pas que le sexe.
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