On entendit le craquement de ses souliers sur la barrière.
– Je parie qu’il est dans le bois, de l’autre côté de la ville. Nous aurions dû battre ce bois, Jenny. Si je n’étais pas un imbécile, je l’aurais attrapé à Schenectady.
Il y eut un silence.
– Il a réussi à avoir un pistolet, dit une autre voix.
– Oui ! On ne lâche pas une banque pour acheter un pistolet. Enfin, ce n’était peut-être pas une véritable banque, mais il me semble qu’une bonne librairie rapporte autant qu’une banque.
– Il y avait dans le journal…
– Le journal !… Il accompagna ces mots d’un juron.
Encore un silence.
L’odeur d’un bon cigare se répandit, grâce à la brise, jusque vers le petit monticule.
– Dites donc… Qu’est-ce que Gussie a gagné sur celui-là ?
– Écoutez, Lenny, imaginez que nous attrapions cet oiseau ! Que vous importe Gussie ! Allons…
Le bruit de leurs pas s’éloigna. Levant la tête, Robin se mit en observation.
– Gussie, murmura-t-il, ça va joliment bien !
Il ne se releva qu’au bout de dix minutes et tendit la main à Octobre.
– Où est le portail ?
Elle marchait à quelques pas devant lui. Il dut remarquer que son manteau traînait, car il le lui prit. Le portail était à moitié ouvert. Ils traversèrent la route inégale, mais infiniment plus agréable aux pieds que les champs. L’herbe était humide de rosée. Le devant de la robe d’Octobre était complètement mouillé.
– Il y a une maison, là-bas, dans le bois. Vous n’avez pas peur ?
– La maison du Suédois, se rappela-t-elle.
– Justement. Il s’est pendu, n’est-ce pas ! Les vagabonds n’y vont jamais. Ils préfèrent dormir sous la pluie. Ça porte malheur. Horriblement superstitieux, les vagabonds ! Est-ce que je marche trop vite ?
Il tourna la tête vers elle.
– Non, dit-elle, puis quelque cent yards plus loin, vous êtes dégrisé ?
– Non, pas encore, c’est affreux. Je pense que vous êtes… quelqu’un d’autre. J’ai les jambes complètement molles. Je n’ai pas dormi la nuit dernière. Et avant, j’ai voyagé dans un train de marchandises, mais on m’a vu, et jeté en bas. J’aurais dormi debout cette nuit, mais je suis bien malade.
La route commençait à monter. Octobre avait fait ce chemin si souvent, qu’elle l’aurait suivi les yeux fermés. Puis, la route perdait de sa largeur jusqu’à devenir un simple sentier. L’obscurité était complète. Ils n’étaient guidés que par quelques éclairs.
– C’est quelque part à gauche. Il y a deux marches à gravir.
Ils marchaient moins vite, cherchant le sentier qui menait à la maison du Suédois. Ils virent les deux marches dans un éclair, ces deux marches qu’avait si souvent gravies le suicidé.
Robin encore titubant, s’arrêta après les avoir montées. Octobre tendit la main pour le soutenir, mais il la repoussa doucement. Elle aperçut après lui, une lueur rouge qui devait être un feu, au loin, au-delà de l’endroit où ils avaient abandonné le sentier.
– Restez ici, dit-il, en redescendant les marches. Marchant silencieusement, il se dirigeait du côté du feu, se glissait d’arbre en arbre jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un endroit d’où il put voir ceux qui campaient là. Ils étaient deux, l’un très grand, l’autre semblant un nain par comparaison.
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