Alors Mme Elmer s’élança vers la porte avec un cri aigu : – Octobre, Octobre !
Elle ne reçut d’autre réponse que le bruissement des feuilles et le roulement lointain du tonnerre.
CHAPITRE IV
LA MAISON DU PENDU
Octobre avait entendu l’orage en sortant de la maison. Elle prit sans y penser le vieux manteau qui lui servait de couverture quand elle se couchait à l’ombre des pommiers.
Robin marchait devant elle.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? Il montrait quelque chose d’un doigt tremblant.
– C’est le chemin qui rejoint la grand’route.
– Y a-t-il une autre route, à travers champs ?
Elle regarda.
– Vous ne voulez pas traverser la ville ? Cela m’est bien égal à moi !
– Pas à moi. Je suis complètement ivre, empoisonné. Imbéciles ! Je ne m’y attendais pas !
Il s’arrêta soudain, irrésolu. Devant eux s’étendait la route. Octobre entendit quelqu’un crier son nom derrière elle.
– Par là, dit-elle, le prenant par la manche de son veston, et le tirant à travers les buissons, le long d’un petit sentier à peine visible même en plein jour. Il chancela, et se mit à jaser. Il était vraiment ivre, empoisonné, comme il disait. Es arrivèrent dans un champ et virent, à travers des pommiers une lointaine lumière jaune. Ils étaient près du cimetière, dans un champ où Elmer envoyait paître ses vaches. Un grand bâtiment se détachait en noir sur le ciel sombre ; un peu plus loin était l’étang où venait boire le bétail.
– Il y a de l’orage quelque part, dit Robin… En suivant le St Laurent !
Elle s’arrêta soudain.
– De quelle nationalité êtes-vous ? Vous n’êtes pas Américain ?
– Anglais, dit-il d’une voix qui commençait à s’affermir.
Elle respira profondément.
– Alors je suis anglaise.
Elle ne pouvait apercevoir son visage, mais elle devinait son hébétement, à sa voix et à son attitude.
– Vraiment ? Bien.
Elle serrait les lèvres :
– Je suis américaine, je resterai toujours américaine.
– Oh !…
Il essayait de rassembler ses idées.
– Vous venez de dire que vous étiez anglaise !… Je n’aime pas les gens qui changent d’avis toutes les cinq minutes. Où allons-nous ?
– Où nous allons ? Mais où vous voudrez.
– Prescott.
– Au Canada ?
Il fit un signe de tête qu’elle devina plutôt qu’elle ne vit.
– Où mène ce chemin ?
Elle lui expliqua que la route était juste devant eux, et qu’elle rejoignait celle de Littlebourg à l’ouest.
– N’y a-t-il pas par là un petit bois que traverse la route, demanda-t-il d’une voix impatientée.
– Chut ! Agenouillez-vous !
Elle obéit, entendit une voix, puis vit luire une allumette.
– Cachez-vous dans ce fossé, dit-il en lui donnant l’exemple. Elle se laissa tomber à côté de lui, le cœur battant. Elle essaya de calmer son émotion, en se persuadant, bien que le contraire fût évident, qu’il n’y avait aucun danger. Elle regarda la route avec attention et se sentit pleine de haine pour ceux qui y marchaient sans se hâter. Ils approchaient. L’un d’eux s’arrêta pour allumer une allumette. Ils étaient à moins de six mètres de l’endroit où ils s’étaient cachés. Elle aperçut vaguement une grosse figure, une barbe rouge.
– Vous allez nous trahir avec cette manie d’allumer continuellement des allumettes, dit Red Beard furieux. Nous aurions pu aussi bien prendre une escorte.
– Ah, grogna l’autre, qu’est-ce que ça fait ! Il n’est pas là ! Il s’en faut d’un nombre respectable de milles.
– Je vous dis que je l’ai vu au milieu d’une bande de jeunes gens. Si vous aviez été là, nous l’aurions attrapé.
– Je devais aller à la gare.
Les voix devinrent indistinctes, ne furent plus qu’un murmure. On entendit un grondement de tonnerre, puis ce fut de nouveau le silence.
– C’est vous qu’ils cherchent ? demanda Octobre dans un souffle.
– Oui.
Sa voix était claire, il semblait complètement dégrisé. Comme il se levait, Octobre crut voir briller quelque chose dans sa main, à la lueur des éclairs. Ses idées avaient repris leur clarté à l’approche du danger, mais il titubait encore.
– Y a-t-il un portail par ici ?
– Plus loin…
– À terre !
Il avait aperçu le bout allumé d’un cigare. Les deux hommes revenaient sur leurs pas. Cette fois-ci, Robin et Octobre étaient dans une bonne position. Un petit tertre courait parallèlement à la palissade. De ce côté-là ils étaient en sécurité. Les deux promeneurs s’arrêtèrent en face d’eux. L’un d’eux s’était probablement assis sur la palissade.
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