Octobre l’écoutait, les yeux baissés. Quand il fut parti, elle s’enquit si ce jeune homme connaissait autre chose que lui-même.

M. Elmer ne comprit pas.

Sam Wasser lui apporta des fleurs, des bonbons, des nouvelles, des anecdotes qui le montraient sous un jour des plus favorables. Il avait une certaine pointe d’humour et un don indéniable de répartie. Sa conversation était piquée de : « C’est ce que j’ai dit à Edy », « C’est ce qu’Alex m’a répondu », et il concluait invariablement : « J’ai bien cru qu’ils mourraient de rire ».

Elle lui demanda une fois si vraiment quelqu’un était déjà mort en d’aussi joyeuses circonstances, ce qui le déconcerta.

– Mais je pense… naturellement, ils n’en sont pas morts… je voulais dire… mais vous me comprenez certainement !

De retour chez lui, il fut torturé de doutes. Un peu plus tard, comme ils étaient seuls, assis dans le jardin, en une chaude soirée d’été, il devint sentimental et voulut l’embrasser. C’était son droit, comme il l’expliqua plus tard.

Elle le repoussa simplement de la main et lui dit de ne pas faire de folies.

La date du mariage n’avait pas encore été fixée. Aussi, quand M. Elmer annonça que, de par la volonté de sa mère, Octobre devait se marier le jour de son vingt-et-unième anniversaire, Octobre seule ne marqua aucun étonnement. Quand elle en fut avertie, une semaine à l’avance, elle se borna à s’écrier : « Ah ! »

Samuel Wasser eut une longue conversation avec son père, à la suite de laquelle il retint un vaste appartement dans un hôtel romantiquement situé sur la rive de l’Oswegatchie.

Les choses en étaient là quand M. Elmer demanda une entrevue au notaire et comprit que ses pires craintes étaient justifiées.

Le vieux cheval prit l’amble de lui-même. Le boghei était projeté de côté et d’autre, chaque fois que les roues rencontraient un obstacle. Il en était de même de M. Elmer. Il surveillait la route de ses yeux perçants. Il aperçut le vieux Lee Wasser devant son magasin, passant et repassant sa main dans sa tignasse grise. Ses lunettes octogonales avaient glissé le long de son nez. Tout en lui indiquait un violent état de combativité. Il gesticulait de sa main libre pour mieux accentuer ses paroles. Son fils l’écoutait d’un air sérieux, et acquiesçait de temps à autre, chaque fois que de son poing fermé, son père semblait vouloir envoyer à quelqu’un un « swing » magistral.

M. Elmer renifla, selon son habitude dans les moments d’émotion.

– Je disais justement à Sam, lui cria M. Wasser, que ce jour n’avait rien d’un jour de noces. C’est comme quand vous êtes en camping, et que le soir, tout d’un coup, au moment du dîner, vous vous apercevez que c’est dimanche – ça n’a pas l’air d’un dimanche. Eh bien ! ça n’a pas l’air du jour de noces de Sam.

Sam était parfaitement d’accord. Il ne sentait que c’était le jour de son mariage, qu’à cause d’une certaine nervosité, d’un malaise assez marqué.

– Ça devrait être différent, déclara M. Wasser, en jetant un coup d’œil à M. Elmer. On devrait sentir une sorte d’affairement… enfin, ça devrait être différent – je ne suis pas bien certain…

Il secoua la tête, son fils en fit autant.

– Mais je ne vois pas… commença Elmer.

– C’est un sentiment. Une espèce de coup, là ! dit le vieux Wasser se frappant la poitrine. Vous devriez être raisonnable, Elmer, vous mettre à ma place. Sam est mon fils unique, je ne peux pas risquer de gâter sa jeune vie. C’est un point délicat. Et Octobre ! Le jour même de son mariage ! Il n’y a pas une heure qu’elle était là, au bord du trottoir, fumant une cigarette ! Tout le monde la regardait, et commentait sa conduite. Le vieux Dr Vinner et Miss Selby, et tout le monde. Et Sam… que vous a-t-elle dit, Sam ?

Sam, alors au premier plan, déclara :

– Elle a dit : « Un homme en vaut un autre », pas plus tard que ce matin. Et elle ne m’aime pas. Elle épouserait un vagabond aussi bien que moi. Elle n’a aucune préférence.