Ils sont joliment sévères pour ceux qui essaient de les rouler ! Le chef s’est entretenu avec eux ce matin, et ils ont été d’avis qu’Ogdensbourg ne vous vaudrait rien.
– Philadelphie, dit Red Beard, et nous ne faisons qu’y passer. Nous allons chez nous, à Utica.
– Bien, dit l’homme sceptique par nature et par éducation. L’un de vous n’aurait pas d’arme !
Read Beard écarta ses bras, le détective le fouilla rapidement, en fit autant de son compagnon. Il ne trouva pas d’arme.
– Ça va bien, dit-il aimablement, je vous verrais donc à la gare aux environs de neuf heures ce soir.
– Mais certainement, répondit Red Beard poliment.
Le détective les quitta, et alla au téléphone. L’Anglais était parti.
– Les étrangers ne sont jamais contents, se plaignit le commis, Sa Seigneurie désire une nouvelle route !
– Anglais ?
– Et comment !
Red Beard et son compagnon descendirent une heure plus tard et furent les témoins silencieux d’une cérémonie assez curieuse.
Quelques jeunes gens de bonne famille avaient formé une ronde autour d’un jeune homme mal à son aise, et chantaient un refrain assez grossier. Red Beard en conclut facilement que le jeune homme était sur le point de se marier. Ils chantaient :
« Le vieux Sam Wasser n’est qu’un vieil avare
« Au lieu d’offrir son vin il le garde pour lui.
« Il épouse une jeune fille
« Et n’invite même pas ses vieux amis ! »
« Il n’y a pas de gâteau pour la noce
« Pas d’alcool pour boire
« À la santé de ce fiancé avare
« Le vieux Sara Wasser est un affreux chien hargneux
« Un chien hargneux ! »
Ah ! Écoutez ! compagnons !
Le cercle se disloqua en quelques groupes d’où partaient de grands cris.
– C’est bien ça Sam ! C’est exactement ce que vous êtes.
Ils se dirigèrent tous vers l’hôtel. Le propriétaire prit enfin un air joyeux.
Sam Wasser qui était un parfait célibataire donnait parfois de petites parties auxquelles il invitait ses amis. Il avait des cachettes pour le vin vieux et des multitudes de verres.
Vers la fin de l’après-midi, il eut une idée :
– Écoutez ! une idée ! Il y a un vieux vagabond dans le bois, un bon type – homme du monde – Allons le chercher ! Soûlons-le ! Je parie qu’il n’a plus avalé une goutte d’alcool depuis des années !… Allons-y !… Allons chercher l’homme des Grands Espaces Déserts…
CHAPITRE III
UN BEAU MARIAGE !
Mme Elmer entrait continuellement dans la chambre d’Octobre. Elle avait essayé, sans succès, d’inculquer à sa nièce, un certain sens de sa responsabilité.
– Vous auriez réussi à briser un cœur de pierre, concluait-elle aigrement.
C’était une femme petite et d’une maigreur effrayante. Son visage était tout en angles, ses manières acidulées.
– Comment puis-je emballer vos affaires, Octobre ? Je ne sais pas ce que vous voulez prendre.
Octobre leva les yeux du livre qu’elle lisait et les posa sur Mme Elmer.
– Mais tout ! Que porte donc une jeune mariée ?
C’était sa première marque d’intérêt.
– Mettez votre robe bleue, en satin ! M. Elmer pensait que puisque le mariage se ferait dans l’intimité, il était bien inutile d’acheter des falbalas !
– Oh ! Seigneur ! dit Octobre entre ses dents, qui parle de falbalas ! Emballez tout ce que vous voudrez, Madame Elmer, mais pas trop de choses. Je ne veux pas avoir l’ennui du déballage.
– Ne pourriez-vous donc pas faire aussi quelque chose ? demanda Mme Elmer exaspérée. Pensez-vous que je vais me briser les reins pour le plaisir de faire vos malles ?
– Mais ne les faites pas, répliqua Octobre en reprenant sa lecture.
Elle dîna seule dans sa chambre, puis se remit à sa lecture, quand Mme Elmer entra chez elle, vêtue de noir.
– Le Révérend Stevens est là, murmura-t-elle comme pour voiler l’intimité de cette nouvelle. Octobre abandonna son livre après avoir soigneusement marqué la page. Elle se leva et passa rapidement sa main dans ses cheveux.
– Qu’est-ce qu’il veut ? demanda-t-elle avec étonnement.
Mme Elmer ne broncha pas.
– Mais vous vous mariez, oui ou non ? cria-t-elle.
– Ah ! c’est pour cela !
Le salon était une grande pièce sombre et triste. On avait essayé de l’égayer autant que possible en l’ornant de toutes les fleurs du jardin. Octobre y remarqua une gaieté qu’elle n’y avait jamais vue. M. Elmer dans son habit du dimanche, le Révérend Stevens en deuil, étaient très solennels, ainsi que Johnny Woodgers, l’homme de peine et sa femme, M. Fingle, le commis et Martha Dimmock, une veuve, amie intime de Mme Elmer. Octobre chercha Samuel des yeux, et ne le vit pas.
– Alors, vous n’avez pas mis votre robe bleue ? souffla Mme Elmer. Celle que vous portez est vraiment un peu… gaie pour la circonstance.
– Mais je me sens très gaie, articula nettement Octobre.
Le Révérend Stevens s’entretenait à voix basse avec M. Elmer, qui au bout d’un moment sortit de la chambre. C’était l’occasion pour le Révérend Stevens d’accomplir son devoir. Il s’avança sans bruit vers Octobre avec l’expression d’un homme qui se trouverait en face d’un mort.
– Vous êtes sur le point d’entrer dans une vie nouvelle, commença-t-il. Une vie qui demande toutes les vertus…
– Mais où donc est Sam ? demanda Octobre. Je voudrais l’examiner d’un peu près avant de me décider !
– Il sera ici tout à l’heure.
Le Révérend Stevens se sentait mal à son aise. Il devait faire appel à toutes ses vertus chrétiennes quand il avait affaire à Octobre. En vérité il la détestait, et prévoyait déjà le jour où elle se convertirait aux pernicieuses doctrines luthériennes.
– Vous allez vous embarquer…
À ce moment-là on entendit des voix s’élever dans le lointain, des rires stupides leur succédèrent.
– … Vous embarquer dans une vie tout à fait nouvelle, disais-je. Il n’y a qu’un guide, dans les affaires les plus désespérées…
Les voix étaient devenues si fortes maintenant, qu’il fut obligé de se taire. La porte fut brusquement poussée du dehors. M. Elmer entra à reculons, gesticulant comme un fou. Le vieux Wasser le suivait, vêtu de clair, très excité, et criant d’une voix de tête.
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