Il était suivi de quelques jeunes gens qui entrèrent en trombe. Parmi eux Sam Wasser brandissait furieusement sa canne en guise de drapeau. Sans chapeau, il portait les traces d’une chaude lutte, ainsi que ses amis.
– Le voilà ! Ho ! À bas ! Ceci à l’adresse de son père qui avait l’air d’un possédé.
Puis au milieu d’un chœur frénétique on entendit :
« Novembre Jones ! Décembre Jones ! Novembre Jones ! Décembre Jones ! Hou ! »
C’est à ce moment-là qu’Octobre aperçut le vagabond. Il fut poussé devant elle et se retint avec peine sur ses jambes vacillantes. Ses yeux étaient troubles, son aspect sauvage. Quelqu’un avait dû l’attraper par son veston auquel il ne restait qu’une manche.
– Désolé, dit-il d’une voix épaisse, désolé.
Elle le regarda attentivement. Ce seul mot l’avait décidée. Depuis cet instant elle ne fut plus que colère et mépris.
Enfin, on entendit la voix d’Elmer :
– Que signifie tout ceci ? hurlait-il.
Qu’est-ce que cela veut dire ! Hors d’ici bande d’ivrognes !… Hors d’ici !
Sam s’avança plein de feu.
– Elle a dit qu’elle épouserait aussi bien un vagabond. En voilà un ! Qu’elle l’épouse !
Octobre jeta un regard de défi autour d’elle.
– Je l’épouserai, dit-elle.
Robin le vagabond la regardait sans comprendre.
– Il est complètement soûl, hurla une voix du fond du salon.
Il y eut des éclats de rire.
– Il ne voulait pas boire ! Nous l’avons terrassé et abreuvé !
– Abreuvé ! Abreuvé, hurle le chœur, marquant le rythme avec les pieds. Ne voulait pas boire ! Abreuvé ! Abreuvé !
Les voix s’apaisaient peu à peu, et, se turent l’une après l’autre. Sam se tut aussi.
Octobre regardait le vagabond avec détresse et chagrin. Vêtu de haillons, il branlait la tête en signe de protestation découragée. Ses yeux allaient de la jeune fille à la lampe qui fumait. Cette lampe l’intéressait visiblement. Il leva un doigt en signe de reproche et regarda de nouveau la jeune fille.
– Tout à fait désolé, murmura-t-il dans une espèce de grognement.
… Ah ! cette intaille !
Seul il semblait percevoir confusément l’humiliation de la jeune fille. Il secoua la tête et fronça durement les sourcils. Elle comprit la lutte terrible de sa volonté contre l’alcool qui l’annihilait. Il essayait vainement de se ressaisir et tomba tout d’un coup. Fortement émue par ses mots étranges et parce qu’elle croyait comprendre, Octobre répéta :
– Je l’épouserai.
Les lèvres d’Elmer s’agitaient furieusement. Wasser pleurait silencieusement.
– Vous ne pouvez pas… vous épousez Sam…
– Cette chiffe !
Sam se redressa à ces mots, fit un effort pour s’avancer jusqu’à elle, perdit l’équilibre et tomba à terre, définitivement après avoir essayé vainement de se relever.
– Vous vouliez me marier ce soir ; je choisis ce vagabond.
Mme Elmer se tordait les mains.
– Mais vous ne savez pas ce que vous dites, hurla-t-elle d’une voix aiguë. Vous ne pouvez pas faire cela !
– Vraiment ! Ses yeux étaient arrêtés sur le Révérend Stevens.
Un homme en vaut un autre devant l’Éternel, n’est-ce pas ?
Elle se tourna vers Robin qui la regardait avec des yeux vides.
– Impossible, déclara-t-il soudain avec solennité.
– Votre nom ?
– Robin. Robin Leslie.
– Robin Leslie, ça va bien.
Elle mit sa main sale dans la sienne. Elle était très excitée, les yeux étincelants. Le Révérend Stevens tournait et retournait un livre entre ses mains, en regardant Elmer par-dessus ses lunettes. Celui-ci se rongeait les ongles, il louchait, un œil sur sa montre, l’autre sur le paquet de loques gisant sur le parquet. Sam s’était endormi.
– Vous ferez ce que vous voudrez, dit-il d’une voix tremblante de fureur.
– Vous êtes folle, complètement folle !
Elle tenait toujours la main du vagabond.
– Je m’appelle Octobre Jones, lui Robin Leslie, mariez-nous !
Le Révérend Stevens ouvrit son livre et bredouilla quelques mots. Les ronflements de Sam étalé à terre rythmaient cette scène.
– L’anneau ?
Elle se baissa, chercha dans la poche de Sam endormi.
– Le voici.
C’est ainsi qu’elle devint la femme de Robin Leslie, devant Dieu et son Église. Mme Elmer suffoquée la regardait comme elle aurait fait d’une folle. Son mari remuait les lèvres avec indignation, mais aucun son n’en sortait. Robin le vagabond, lui, répétait :
– Désolé, désolé…
La foule amassée au fond de la chambre, s’écarta quand ils s’avancèrent vers la porte.
– Où allez-vous ? demanda Elmer brutalement.
– Avec mon mari.
Ils disparurent dans la nuit, et pendant un long moment personne ne parla ni ne bougea.
1 comment