Le vent en parle encore

Michel Jean - Le vent en parle encore

Du même auteur

Elle et nous, Éditions Libre Expression, 2012

Une vie à aimer, Éditions Libre Expression, 2010

Un monde mort comme la lune, Éditions Libre Expression, 2009

Envoyé spécial, Éditions Stanké, 2008


Michel Jean - Le vent en parle encore

 

Édition : Johanne Guay

Révision linguistique : Sophie Sainte-Marie

Correction d’épreuves : Isabelle Lalonde

Couverture et mise en pages : Clémence Beaudoin

Grille graphique intérieure : Axel Pérez de León

Photo en quatrième de couverture : Photograph courtesy of the Shingwauk Residential Schools Centre

Photo de l’auteur : Sarah Scott

 

Cet ouvrage est une œuvre de fiction ; toute ressemblance avec des personnes ou des faits réels n’est que pure coïncidence.

 

Remerciements

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) du soutien accordé à notre programme de publication.

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – gestion SODEC.

 

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés ; toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

 

© Michel Jean (Agence littéraire Patrick Leimgruber), 2013

© Les Éditions Libre Expression, 2013

 

Les Éditions Libre Expression

Groupe Librex inc.

Une société de Québecor Média

La Tourelle

1055, boul. René-Lévesque Est

Bureau 300

Montréal (Québec) H2L 4S5

Tél. : 514 849-5259

Téléc. : 514 849-1388

www.edlibreexpression.com

 

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada, 2013

 

ISBN : 978-2-7648-0925-9

Plusieurs membres de ma famille ont fréquenté
le pensionnat de Fort George.
Ce livre leur est dédié.

« Très vite dans ma vie il a été trop tard. »
Marguerite Duras, L’Amant

1

La fuite

 

Clac ! Le bruit du métal qui s’enfonce dans la terre durcie résonne dans la nuit froide. Clac ! Le son fait écho au ressac de la mer griffant les rochers couverts de lichen. Clac ! L’homme creuse méthodiquement. Clac ! Un coup à la fois. Clac ! Le vent du nord lui gifle le visage, mais ne parvient pas à sécher les larmes qui se mêlent à sa sueur. Clac ! Il frappe le sol comme on frappe à la hache l’arbre qu’on cherche à abattre. Avec une triste détermination. Clac !

La terre s’ouvre devant lui et, à mesure qu’il s’y enfonce, la pelle bute contre des pierres de plus en plus grosses, de plus en plus nombreuses, qu’il doit déterrer et extraire de la fosse une à une. Le sol ici ne se laisse pas travailler. On ne fait habituellement qu’y passer.

Au bout de longues heures de travail obstiné, l’homme s’extirpe du trou qu’il a creusé. Son regard mouillé se perd au fond de la fosse glaciale. Son visage est recouvert de gouttelettes. Il veut une dernière fois défier ce pays hostile. Terre de roches et de sel. Il voudrait crier pour couvrir le bruit de l’océan. Il voudrait cracher son dégoût, vomir la honte qui le ronge et la jeter à la face de ce monde pourri.

Mais il reste là, immobile, un homme de la forêt et des montagnes devant l’immensité sombre et mouvante de l’océan Arctique. L’air légèrement salin lui donne la nausée.

Après un moment d’hésitation, il prend dans ses bras le corps qui gît sur le sol. Il s’assure encore qu’il est bien emmitouflé dans l’épaisse couverture de laine qu’il a volée. Il aurait voulu un autre linceul, une peau de caribou ou d’ours. Une fourrure chaude pour le protéger de la glace et du froid cruel qui règne dans ce pays, même si cela n’a plus vraiment d’importance. Cette couverture est tout ce qu’il a trouvé.

Le corps est déjà raide. Il le serre pourtant contre lui pour lui transmettre un peu de sa propre chaleur. Un peu de sa vie. Une dernière fois.

Il descend dans la fosse, dépose délicatement le cadavre au fond, place des pierres autour pour former une barrière. Puis il pose d’autres pierres sur le corps. Après l’avoir ainsi protégé comme il le pouvait, il ressort, saisit sa pelle à nouveau et entreprend de refermer le trou. Il prend le temps de bien taper le sol pour que personne ne puisse trouver ce qu’il vient de cacher. Il recouvre la tombe de roches, de bouts de bois de plage, de quelques branches d’arbres. Minutieusement, il efface toute trace de son passage pour devenir invisible, comme son père et son grand-père le lui ont appris.