Et Pakuashipi exsude l’ennui.

La camionnette s’arrête à l’entrée de la réserve, et l’avocate est la seule à en descendre.

En posant le pied sur le sable de la rue, une chose frappe immédiatement Audrey Duval. Le silence. Ou plutôt l’absence de bruit. Comme si rien d’important ne se passait ici. Au bout de la rue, des enfants ont interrompu leurs jeux et l’observent à distance. Méfiants.

La jeune femme marche dans des rues vides où s’alignent placidement, presque toutes pareilles, des maisons modulaires modernes s’élevant sur des fondations de béton nu. L’air qui emplit ses poumons lui rappelle que, même si elle est au bord d’une rivière, l’océan est tout près. En ce mois de juin, l’air reste frais et, à quelques kilomètres à peine, au-delà des îles qui bouchent l’horizon, des icebergs émergent du détroit de Belle Isle et de ses eaux limpides, dérivant lentement vers l’ouest.

Les talons d’Audrey s’enfoncent dans le sol meuble. L’avocate serre les lèvres et regrette amèrement de ne pas avoir choisi une tenue plus décontractée. L’habitude.

Elle croise trois enfants qui jouent dans le sable. Ils s’immobilisent en la voyant. Audrey leur fait un signe amical de la main. Son sourire, généralement irrésistible, ne rencontre que des regards farouches. L’avocate frissonne, relève le col de son imperméable Burberry et reprend sa quête.

Ça ne doit pas être si dur à trouver, se dit-elle. Elle commence à s’impatienter et s’en veut d’avoir oublié le plan que lui avait préparé son adjointe. Pas la peine d’essayer de l’appeler maintenant. Son portable ne fonctionne pas, faute de réseau.

« C’est le bout du monde ici ! » grommelle-t-elle pour elle-même. Ses paroles se perdent dans l’air frais, avalées par le silence qui règne en maître absolu.

Au bout d’un moment qui lui paraît une éternité, la jeune femme repère enfin la rue et, tout au bout, adossée à une dune, la maison pour laquelle elle a parcouru près de deux mille kilomètres.

L’avocate se tient devant une petite résidence préfabriquée, déglinguée, qui semble à l’abandon. Des sacs d’ordures au-dessus desquels virevoltent paresseusement des nuages de mouches jonchent le sol. Une des fenêtres brisées a été réparée sommairement avec une toile de plastique. La porte moustiquaire sortie de ses gonds pend sur le côté et menace de tomber.

Audrey Duval hésite un instant. Elle ne détecte aucun mouvement, pas le moindre signe de vie. Pourtant, la femme qu’elle cherche vit bien là.

L’avocate se demande ce qu’elle fait ici. Elle s’en veut soudainement de s’être laissé entraîner au milieu de nulle part par son orgueil mal placé. Elle perd manifestement son temps. Après tout, qui est-elle pour espérer forcer le destin des gens ?

L’air salin lui pique les narines, lui rappelle son statut d’étrangère. Elle se dit qu’elle est trop perfectionniste et que cette fois elle est allée trop loin. Elle s’est laissé porter par sa volonté de prouver à Jimmy qu’elle a raison, qu’elle peut résoudre cette énigme. Et la voilà, avec ses vêtements trop chics et ses escarpins de cuir italien empoussiérés, perdue dans une réserve amérindienne isolée, au milieu d’un pays désolé.

De toute évidence, la maison est vide. La femme qu’elle cherche est peut-être dans le bois.